I. BULLSHIT MASSALA
Il y a cette foutue serviette qu’il rejette négligemment sur son épaule, un rire gras qui retentit, auréolant la cacophonie croulante qui régnait déjà dans ces cuisines. La transpiration sillonne le long de son épine dorsale, c’est l’été, la touffeur s’étend. Cassius frotte, frotte les assiettes pleines de graisses, il s’abime tout aussi bien dans la contemplation des tâches tantôt jaunes, tantôt rouges qui se déploient sur le service en porcelaine qu’il nettoie sempiternellement et qui, sempiternellement aussitôt brillant comme un sou neuf, lui revient barbouillé. Putain, sérieux, quel job de merde. Il a bien hâte de trouver autre chose ou qu’autre chose le trouve. Il en a marre de jouer les garçons indépendants. Bombant le torse, relevant le menton lorsqu’il se trouve face à ses parents – les deux sont médecins, voyez. Ils vivent à Notting Hill,  à Nothing Hill comme il s’amuse à le prononcer, épelant le mot généreusement, rageusement. Il est là, Cassius, à raconter au débile qui cuit le poulet cuisiné Tikka, la dernière fois qu’il a tringlé une fille. Dans les chiottes d’un café Costa. Comme ça. Sans jeu de séduction, sans préliminaires. Rien qu’une phrase lascive balancée entre deux lampées d’un macchiato amer.  « Elle était chaude et humide comme un sauna » il a failli la comparer à ces cuisines, vaporeuses et dégoulinantes. Vulgaire à l’extrême. Il fait le zouave, mimant la gestuelle, lambin, s’aspergeant comme un clampin d’eau de vaisselle. Il s’en fiche, ça le rafraîchit. Il est payé une misère alors, scusez du peu, il n’ira pas se fouler un doigt à grattouiller sur les restes de Tandoori fossilisés. Non merci. « Et, c’était comment ? » que son acolyte d’emmerdes lui demande, levant sa spatule comme une baguette magique. Harry Potter sans cicatrice, sans pouvoir, sans classe d'un nouveau genre : « Comme un jour d’après cuite. Merdique ». Sur ces paroles poétiques, il se retourne et la voit venir, la syncope consécutive à la vision stupéfiante de cette montagne de couverts qui débarquent aussitôt. Il jette un œil à ses mains, sa peau fripée comme celle d’une souris tout juste sortie du bide d’sa mère et secoue la tête. Il crèverait d’aller rejoindre ses potes de promo là où il devrait être – à 80 maudits kilomètres de tout ce qui ressemble de près comme de loin à une éponge spontex. Cassius, il avale sa salive, qu’a l’goût de bile. Sa vie est à gerber. Ses rêves sont calcinés. Il se sent sacrément con d’avoir espéré. Rien qu’un peu. Un peu de trop.  « Hey, t’as qu’à t’faire la femme du patron  pour la promotion sociale » - le grognement se dilate : « Heu...Va sucer, Sanjay ».Le majeur se lève, tournoie dans les airs et tombe pile sous le regard dudit patron. Oh - ses lèvres se déforment, un rictus y naît. L'abruti. FATAL ERROR.

II. WHEN YOU SEE MY FACE I HOPE IT GIVES YOU HELL

« TU VOIS A QUOI RESSEMBLE L’EXPRESSION DE MES SALUTATIONS LES PLUS DISTINGUEES SALE MORVEUSE ? » il le hurle, Conley, agitant avec emphase la peluche hideuse offerte par un espèce de pédophile à sa sœur cadette. Il manque les yeux, à cette peluche. Les yeux, un bras, une oreille. « TU ES HORRIBLE. TU VAS… » Betty se débat, hurle comme un loup à la lune. Il pense : ma parole, elle est en transe. Elle est là, les cheveux en bataille à menacer alors qu’il est certain d’une chose. Une seule, bordel de merde : il la tient. « Tu vas quoi, Betty ? Raconter aux parents que j’ai mutilé un ours en peluche qui t’a été offert par un mec de 30 ballets alors que tu n’as que 15 ans ? Je me demande comment ils vont réagir. Hum… » Faussement songeur, il grimace, laissant tomber son masque pour un sourire narquois : « Tu crois qu’ils vont me jeter dehors ou m’filer une médaille ou t’enfermer dans l’sous-sol là où a toujours été ta véritable place? »  - rageuse elle finit par prendre la poudre d’escampette tandis qu’il vocifère dans son coin, remonté pour au moins encore une heure. L’adrénaline d’une prise de tête pulsant comme une drogue dans ses veines. Il finit par retomber sur le canapé, allumant l’écran télé, prêt à gaspiller son temps. Éreinté par les heures passées  à nettoyer la crasse des autres en faisant croire à son entourage qu’il va à l’université. Qu’il étudie l’économie alors qu’il étudie davantage les effets d’un liquide vaisselle sur les lipides en se souvenant les cours dispensés pendant les années lycée. Les années qu’il regrette, pas lointaines pourtant inaccessibles. Il se prend la tête entre les mains, les soupires résonnant comme une mélodie. Ses parents bossent. Ils font 5 gosses qu’ils élèvent approximativement. En fait, il s’en rend compte, Cassius, que c’est lui la putain de pierre angulaire dans cette baraque. Sans lui, y’aurait pas de ciment. Et des briques sans ciment – c’est juste un tas de ruines. « TU VAS ROMPRE SURTOUT » crie-t-il, à l’encontre de la petite peste qu’il entend chouiner depuis sa chambre située à l’étage : « TU PIGES, LA CONNE ? ». La porte claque – ouai, soirée normale. La norme.

III. DON'T TOUCH
Il est putain de moche, ce bar. Lumières tamisées, néons qui fileraient presque une crise à un épileptique des couleurs qui déflagrent dans la pénombre. Boom comme un attentat à la bombe. Elle est humaine et sa silhouette prend forme dans ses prunelles. Il est là, Cassius à envelopper d’œillades appuyées Zoé, sa dryade au nom sorti de cette vieille France qu’on chante dans des vieux tubes. Il est plutôt fréquenté par de la mauvaise herbe, ce bar. Des orties qui piquent, des champignons parasites qu’il se verrait bien nettoyer au karcher, arracher d’un coup sec, asperger d’acide, d’essence, immoler sans atome de pitié. Un sourire s’épanouit lentement sur ses lèvres charnues alors que les battements se font plus tonitruant, ils raclent et taclent dans sa cage thoracique. Le sang afflux à ses tempes, ça se propage. Elle est putain de belle, Zoé. Il l’a vu, le premier jour avec sa petite gueule d’étrangère paumée en plein Oxford Circus. Il s’était senti investi d’une mission, d’celles qui font rougir ces demoiselles. Jolie tapant dans l’éphémère, bien planquée sous des airs ingénus. Ils se sont bien trouvés, deux pauvres handicapés. Trop vite, trop salement devenus amis. Meilleurs amis. Meilleurs « on n’ira pas plus loin ». Conley, il s’y fait toujours pas à cette idée. Elle lui file envie de tout envoyer péter, surtout lorsque des gars s’approchent de trop près. Près comme la distance qu’il est le seul à vouloir annexer. « Ton shift, il est pour quand ? » qu’il lance, propriétaire. Il déteste cette possessivité et cette envie maladive de tout saboter qu'il fait scandaleusement semblant de ne pas éprouver. Et à chaque fois qu'elle se trouve dans les parages il est en duel avec lui même. Lui, Cassius et cet autre qui se veut voix de la raison et qui pourtant le temps faisant laisse le contrôle aux sentiments. Peuh - le romantisme, c'pour les minettes.

IV - Friendship is magic bitch

« Du fond de teint, j’sais pas moi, de la farine ? » - son pote de beuverie s’agite à ses côtés, soufflant qu’il vient à nouveau d’avoir une crise d’acné, que sa vie est probablement foutue, que sa petite copine va surement le larguer. Qui aime les mecs à faces de lune ? « Consulte. Ton rencart, l’est pour quand ? » Cassius apprend que le rencart a lieu le soir même, que son pote est sur le point de marquer le but d’une gazelle atteignant le 9/10 sur l’échelle qu’ils ont inventé, un jour de galère lorsqu’ils avaient 13 ans. De toute évidence, le 9/10 convint Conley à trouver une stratégie d’évitement le plus tôt possible. Parce que : Par les saintes couilles du prince Charles, une gonzesse pareille c’est un plan aussi rare qu’le passage d’une comète. Un événement à saisir peu importe le prix à payer. « Tu crois qu’il y a moyen qu’on t’fasse porter un masque vénitien sans que ça te fasse passer pour un détraqué ? » - la solution trouvée quoiqu’un peu bancale finit par être adoptée. Tous les moyens sont bons. Quelques heures plus tard. « Alors, mon pote ? » - le sourire d’australopithèque qui s’étend éhontément sur   les lèvres du pauvre acnéique en dit long sur le déroulement de la soirée. Conforte Cassius qui, il le sait, est certainement le cerveau de ce duo d'empotés.