Tutututu. « La maman de Marie-Rose l’attend à l’accueil, je répète, la maman de Marie-Rose l’attend à l’accueil. » Les lèvres pincées, Madame Hill grommela entre ses dents que c’était Marley-Rose. Quelque secondes après, une petite blonde écervelée aux mains tâchées de pâte à tartiner jaillit du rayon confiseries. Elle portait un col roulé visiblement trop étroit dont elle passait sans cesse la main pour l’élargir et une jupe stricte à motif jacquard. Madame Hill agrippa sa main, paya ses courses et sortit du magasin en tâchant de se composer une bonne figure. Une fois dans la voiture, sa colère éclata au point que Marley-Rose se demanda si le chignon sévère de sa mère allait tenir le choc vu la manière dont elle agitait sa tête. Mais le chignon de Madame Hill était toujours impeccable. Quand elle rentra chez elle, la petite fille eut droit à une énième punition, une fessée, une soupe au poisson infecte et au lit. La routine. Elle tenta d’humer les restes de pâte à tartiner dans ses doigts sales mais dût se rendre à l’évidence : sa mère avait frotté suffisamment fort avec le gant de toilette. Marley était une petite fille de six ans à l’époque qui passait son temps à faire des conneries. A cet âge, c’était purement involontaire. La logique de ses parents lui échappait. Pourquoi n’avait-elle pas droit, elle, à un peu de pâte à tartiner sur ses tartines alors que ses amis en mangeaient même plusieurs fois par jour ? Pourquoi n’avait-elle pas de télé chez elle ? Pourquoi ne portait-elle pas des pantalons comme tout le monde à la place de ses jupes qui lui grattaient sans cesse ? Pourquoi n’allait-elle jamais au McDonald ? Les exemples comme ça, elle en avait à la pelle. Monsieur et Madame Hill était ce que l’on pourrait qualifier de « bourgeois extrémiste et coincé ». Ils vivaient dans une maison très correcte dans une ville calme et… calme. Très croyant, ils allaient à la messe chaque dimanche, participaient activement à la communauté chrétienne de l’Eglise et faisait une prière à chaque repas.

Marley-Rose en a vite eu marre et a commencé sa crise d’adolescence à sept ans. Elle était très garçon manqué, toujours en conflit avec ses géniteurs. On la traitait d’enfant ingrate, de sale gosse, mais au fond, tout ce qu’elle voulait, c’était d’être comme tout ses amis. La situation est devenue invivable au lycée, où elle fût placée dans une institution catholique exclusivement féminine. Malgré ses fugues et tout l’effort qu’elle déploya pour sortir de cet enfer, ses parents eurent toujours le dernier mot. Sauf à seize ans, où elle intégra un pensionnat plus ouvert. Ce fût la délivrance. Elle commença à fumer, à boire et à tomber dans tous les vices possibles que peut avoir une adolescente rebelle de cet âge. Et puis vint l’âge de commencer des études supérieures. Jusque là, elle avait réussi à maintenir sa moyenne suffisamment correcte pour ne pas redoubler. Elle voulait être chirurgienne - ouais couper des ventres, patauger dans les intestins et autres charmantes gourmandises, mais elle a fait un grand écart étrange : elle s’est orientée dans la photographie. Il faut préciser que c’était parfait pour elle, une grosse feignasse sans ambitions précise. Du coup, Marley-Rose est parti pour Londres, à l’aventure, sans trop savoir comment elle allait bien pouvoir se loger.