Ton souffle devient saccadé, la sueur perle sur ton front, tes yeux sont effrayés. Tu angoisses, petit à petit, ta peur te consume et tu ne peux rien y faire. Tu ne peux pas y échapper, tu le sais. En ce moment même, tu souhaiterais mourir plutôt que de l'affronter. L'homme qui t'as créé, l'homme qui était censé t'élever. Ton père. Tu as fait une bêtise, tu es enfant, et tu voulais seulement t'amuser. Mais comme d'habitude, ce n'était pas bien. Mais comme d'habitude, ton père est là pour te gronder. Tu es un enfant, tu tentes de faire des bêtises pour t'amuser, mais tu es un noble, tu ne peux pas être comme ça.


L'adolescence, les filles, l'argent, le début de la vie adulte sans les responsabilités. En fait, tu n'es qu'un grand enfant. Mais tu t'en fiches, tranquillement assis dans ta Jaguar avec ton chauffeur, tu t'en vas au lycée. Tu n'as pas vu ton père ce matin, il travaillait. Et ta mère, elle a toujours été là pour faire bonne figure, elle n'a toujours été qu'un pion pour tous les gens que tu peux connaître. Ton respect et ton amour pour elle se limite à un rien, parce qu'elle n'a rien d'une mère. Pas à tes yeux. Alors grâce à ça, tu n'as plus de conscience. Décevoir n'a jamais été un problème pour toi, ça a toujours été ton moyen d'attirer ton père bien trop absent. Noble mais homme d'affaire, une personne exemplaire. Alors dans le siège arrière, tu observes ta ville natale. Tu passes encore une journée de cours à travailler, parce que tu as toujours aimé ça. Tu n'as pas vraiment d'amis, mais tu as beaucoup d'ennemis. Les gens te suivent avec hypocrisie ou les gens te regardent de travers, les gens parlent dans ton dos. Les filles te regardent avec envie, tu es inaccessible. Puis sans aucune reconnaissance, tu remontes dans la voiture noire aux vitres teintées. Paris, tu traverses l'Élysée et tu vas arriver près de ton immense appartement où personne ne t'attend. Ce soir, tu vas sortir, ce soir, tu vas profiter de ta vie. Encore une fois.


Depuis que tu es jeune, ta famille te demande de protéger l'image de la famille, les De Bucy. Une famille noble, une famille exemplaire. Vilain petit canard que tu es, en dehors des études tu ne fais rien d'exceptionnel. Sauf ce talent, ce maigre talent qui te rend fier. Tu n'en parles à personne, cela risquerait de casser ton image. Ta petite-amie du moment ne le sait pas non plus, seulement toi. C'est ton moyen de t'échapper, ton moyen de t'exprimer. Tu as cette salle dans ton appartement, remplis de tableaux accrochés sur tous les murs. Les murs sont dessinés, les feuilles gribouillés jonchent sur le sol. Et tu observes ton entre, ton secret, ton coffre. Et tu te prépares à te salir les mains avec de la peinture, parce que ça te passionne.



Ta famille souhaite te voir faire des études en droit, mais tu ne penses qu'à la peinture. Ton amour pour le dessin te rend malade, il te consume, te brûle. Tu n'as jamais aimé personne autant que cet art, tu ne comprends pas pourquoi. Et tu es doué, tu le sais. Alors tu veux partir, en douce, faire des études d'art. Mais les De Bucy ne sont pas du même avis. Mais rien ne te rattache à Paris, alors tu souhaites partir. Tu pourras toujours mentir, parce que c'est la seule solution. Tu risques ta vie, ton héritage. Tu vas perdre tes amis, mais au fond, tu n'en as jamais vraiment eu. Et ta petite-copine du moment, elle sera triste, mais ce n'était qu'une distraction. Ce soir, tu fais ta dernière fête à paname. Tu profites de tes derniers instants avant ton départ, avant ta réussite ou ta chute. Tout ou rien.