Londres, 2002 •• Ses genoux étaient en écorchés. Sa lèvre inférieur un peu entaillée avait cessé de saigner mais laissait apparaître une marque rouge vive. Le lendemain, son dos serait constellé de bleus, elle le sentait déjà un peu tirer. Pourtant, la petite fille se tenait droite. Elle était rentrée de l’école toute seule, comme tous les jours. Après tout elle était grande maintenant, ses parents le lui répétaient sans cesse : à sept ans elle était tout à fait capable de faire le trajet de l’école à la maison. Cela ne lui posait pas de problème, ça lui laissait un peu de temps avant qu’ils rentrent pour se redonner un aspect présentable.
Elle tourna la clé dans la porte. Pénétra dans l’appartement silencieux et désert et laissa glisser son cartable sur le lino avec un soupir de soulagement. Elle n’utilisait jamais son casier, il était situé juste à côté de celui de Nick. C’était lui le chef, la brute qui commandait la bande qui la victimisait dès que l’envie leur en prenait. Risquer de s’attarder sur son territoire… Elle n’osait pas. C’était pour cette raison que son sac était toujours plein à craquer, horriblement lourd. Ses parents n’avaient jamais remarqué, non, ils ne lui avaient jamais posé la question, ils avaient bien d’autres choses à penser. En règle générale, d’ailleurs, leur fille était toujours le cadet de leurs soucis.
Cela faisait maintenant de longues années que le couple Matveyev-Hamilton habitait en périphérie de la capitale anglaise et jusqu’à présent, leur existence avait été un long fleuve tranquille. Ils étaient tous deux titulaires d’un emploi stable, ils s’aimaient et la naissance de leur première fille, Kayleen, avait été la cerise sur le gâteau, ils avaient atteint le summum de la réussite. Puis, le passage à l’an 2000 avait inversé la donne. Isaak avait perdu son travail et le salaire de sa femme était plutôt juste pour entretenir le quotidien d’une famille. Cela faisait maintenant plus de deux ans que les russes se serraient la ceinture et que le papa de Kay enchaînait petit boulot sur petit boulot, le tout rémunéré un salaire de misère. Kayleen était encore trop jeune pour saisir tout cela, mais elle avait déjà compris qu’ils étaient pauvres et que le moins qu’elle pouvait faire c’était de rendre la vie plus facile à ses parents, de ne pas rajouter ses problèmes aux leurs.
Alors elle se taisait.
Elle gardait pour elle la peur qui lui tordait les entrailles, à peine entendait-elle le réveil sonner. L’envie de pleurer qui la saisissait pendant qu’elle mangeait son bol de céréales. Le rêve de fuir, de courir loin et de ne plus jamais retourner à l’école. La façon dont elle longeait les murs, elle avait appris à être une ombre. Mais cela ne marchait jamais. Nick et sa bande finissait toujours par la retrouver. Parfois, ils la plaquaient simplement contre les casiers, pour l’intimider. D’autres fois… D’autre fois ils la ruaient de coups jusqu’à qu’un professeur passe par là où qu’un élève pas trop lâche soit allé les dénoncer. L’état dans lequel elle revenait aujourd’hui n’était pas exceptionnel, c’était même souvent le cas. Personne ne faisait jamais rien. Elle était toujours seule.
Doucement, silencieusement, Kayleen se dirigea vers la salle de bain, afin d’exécuter encore une fois le rituel qu’elle avait mis au point pour rincer ses plaies et faire un constat des dégâts. A sept ans, elle était lasse. Elle n’avait qu’une seule envie : partir loin, changer de vie.

Londres 2008 •• Sa chambre était remplie de cartons du sol au plafond. Cela faisait à peine quelques heures que Kayleen avait pénétré dans sa nouvelle maison et déjà l’adolescente était en pleine conférence vidéo avec Irina, sa meilleure amie qu’elle avait laissée en Russie. Rien que le fait de voir le visage de la blonde, la faisait se sentir un peu mieux. Car oui, Kayleen était furieuse. Elle était révoltée d’avoir dû quitter le pays qu’elle avait fini par adopter au bout de six ans. Les premiers temps avaient été si durs… Ils étaient arrivés en plein milieu d’un hiver glacial et Kay, à l’époque, ne parlait pas un mot de russe et ne lisait pas une lettre de l’alphabet cyrillique. A sept ans elle avait du tout réapprendre. Heureusement la petite était vive d’esprit, il ne lui fallut que quelques mois pour s’adapter, mais c’est surtout grâce à l’aide d’Irina, sa voisine et camarade de classe, que son intégration fut si facile. C’était elle qui l’avait épaulée, qui lui avait patiemment expliqué toutes les traditions, les mots que parfois elle ne comprenait pas. Au fil des mois, elle était devenue la personne la plus importante de sa vie. Celle qui, pour la première fois, lui avait accordé de l’attention.
C’était un sentiment nouveau qui était né chez Kay. Elle, autrefois solitaire et taciturne, avait appris à s’ouvrir aux autres, à faire confiance. A l’école, plus personne ne la frappait ou se moquait d’elle. Au contraire, les enfants étaient plutôt intéressés et intrigué par la nouvelle tout droit débarquée d’Angleterre. Ce déménagement en Russie, Kay l’avait vu comme la réalisation de son vœu le plus cher, un nouveau départ, une nouvelle vie. A St Petersburg, elle avait décidé de devenir une autre personne et pour commencer, elle ne se faisait plus appeler que par son second prénom, plus « russe » : Apollinariya. Avec Irina, elles formaient la paire, un duo indissociable. Elle fut bien vite contaminée par le grain de folie de la petite blonde et elles firent ensemble les quatre-cent coups. Apollinaryia était heureuse comme jamais elle ne l’avait été et elle pensait que cet équilibre qu’elle avait réussi à trouver serait ainsi pour toujours. C’était de la naïveté.
Du jour au lendemain, ses parents, tout sourire, lui annoncèrent que leur exil était terminé et qu’ils retourneraient bientôt à Londres. Le fragile château de cartes de sa vie s’écroula. Deux jours durant, Irina et Kay pleurèrent dans les bras l’une de l’autre et cette dernière ne monta dans l’avion qu’après lui avoir fait promettre qu’elles s’appelleraient tous les jours. Mais Kayleen était réaliste, elle ne savait pas si elle reverrait Irina un jour, les relations – amitié, amour peu importe – à distance ça ne marchait jamais.

L’air anglais l’étouffait. A peine avait-elle poser le pied hors de l’avion, inspirer à plein poumons que le sentiment d’insécurité qu’elle avait éprouvé durant toute son enfance revint au galop. L’Angleterre, c’était la fin. Le retour aux cauchemars, à l’angoisse. A la solitude.
Ce fut les larmes aux yeux qu’elle cliqua sur la petite croix en haut de la fenêtre Skype. La conversation finie, une boule se forma dans sa gorge. Kayleen tira une Lucky Strike du paquet posé à côté d’elle. Elle ne fumait pas, elle n’avait jamais fumé. Mais étonnement, la première chose qu’elle fit après avoir déposé ses quelques bagages à main, ç’avait été de descendre au bureau de tabac acheter des cigarettes. On les lui avait vendues sans aucuns soucis. Elle craqua une allumette que ses parents utilisaient d’ordinaire pour le gaz et alluma l’extrémité. Elle tira une première fois : elle manqua de s’étouffer. Même chose la fois suivante. Ce ne fut qu’au bout de la sixième qu’elle y arriva à peu près correctement. Et elle se grilla trois clopes d’affilé.
Elle devait établir un code. Pour survivre, pour ne pas se faire écraser comme autrefois. Premièrement, elle allait sourire. Sous un sourire, on pouvait tout cacher, de plus, les gens étaient attirés par les personnes souriantes. Deuxièmement, elle allait mentir, elle n’avait pas d’autre choix. C’était la seule solution de plaire à tout le monde. Enfin, troisièmement, elle allait continuer à fumer.

Ses larmes se mêlèrent à la nicotine.

Londres 2012 •• Une étreinte, un baiser, la chaleur de deux corps enlacés. Deux ans, peut-être trois que Julian et Kay sortaient ensemble. La jeune fille n’avait aucune idée de comment ce mec, de deux ans de plus qu’elle avait fait pour la remarquer dans les tortueux couloirs du lycée. De toutes les filles apprêtées, populaires, décomplexées, c’était elle, la discrète petite brune au sourire énigmatique qu’il avait repéré. Peu importait au final, il l’avait abordée de manière tout à fait naturelle, comme s’ils s’étaient connus depuis toujours. D’abord surprise, elle avait baissé la garde, partageant un déjeuner, puis un autre… De fil en aiguille, ils avaient commencé à sortir ensemble et personne au lycée n’avait été étonné. En revanche, c’était la durée de leur relation qui avait surpris. Avec le départ de Julian à l’université, personne ne pensait qu’ils tiendraient bon, Kayleen la première. La jeune fille avait laissé tout optimisme en Russie. Mais non, Julian c’était montré fidèle, il semblait sincèrement amoureux. Kay, quant à elle, c’était une toute autre affaire.
La belle brune s’était laissée sombrer, convaincue qu’elle n’avait plus aucun espoir de ressentir à nouveau le bonheur qu’elle avait connu à St Petersburg. Elle appréciait Julian, elle l’appréciait vraiment beaucoup. Parfois, elle se disait qu’elle n’y connaissait rien et que ses sentiments pour le jeune homme étaient sincères, qu’elle était bel et bien amoureuse. Mais une petite voix dans sa tête lui susurrait le contraire, que cela n’avait rien à voir avec l’amour avec un grand A. Néanmoins, Kayleen ne pouvait pas se résoudre à le quitter. Ce n’était nullement une relation intéressée, ce n’était pas son genre d’être arriviste et elle n’attendait absolument rien de lui. Mais lorsque leurs prunelles se croisaient, elle ne pouvait s’empêcher de remarquer une petite lueur qui lui était familière. Elle avait déjà brillé dans ses propres yeux. Elle ne voulait pas lui infliger ce que ses parents lui avaient fait subir : elle ne voulait pas briser son bonheur. Alors elle était restée avec lui. Elle le comblait du mieux qu’elle pouvait et, de son côté, elle s’était trouvé une raison de vivre.

Elle tenait en trois lettres : UCA. L’université qu’elle rêvait d’intégrer. Mais cela ne serait possible que si elle décrochait les meilleurs résultats possibles aux examens. Sa famille n’était plus pauvre mais loin d’être aisée non plus, il lui fallait une bourse. Le jour même, la lettre tant attendue était arrivée. Elle avait longuement hésité avant de l’ouvrir, mais elle n’avait pas résisté à la tentation. Son cœur battait à la chamade pendant qu’elle parcourait les petits caractères qui allaient sceller sa destinée. Et un sourire, un vrai, un franc, c’était dessiné sur ses lèvres : elle avait réussi !
Mais elle ne l’avait pas encore dit à Julian. Alors qu’elle était dans ses bras, elle hésitait encore à lui annoncer la nouvelle. Elle savait qu’une fois qu’elle, serait à la fac, il n’y aurait plus aucun espoir pour eux. Elle n’arriverait plus à vivre brimée éternellement. Elle devrait le quitter et sortir de sa vie. Ne rien lui laisser, lui donner une chance de tout recommencer.

Mais ce jour n’était pas encore venu. « Je t’aime » lui souffla-t-il à l’oreille alors qu’il déboutonnait son chemisier. « Moi aussi » répondit-elle sans réfléchir. Il recula un peu pour la regarder, elle sourit. Puis, les iris noisette de Kay dévièrent vers le paquet de Lucky Strike posé sur sa table de chevet.

Les règles, il fallait toujours suivre les règles.

Londres, 2012 •• La musique enivrante de Muse pulsait dans ses écouteurs. Kayleen n’aimait pas ce moment de la journée, où, après avoir fini sa journée de cours et son service au Starbuck, elle devait prendre le métro puis passer dans un enchevêtrement de rues mal éclairées pour rejoindre son studio. Elle serait fort la bretelle de son sac à dos et mettait la musique de son I-Pod à fond pour se rassurer. Jusqu’à là, elle n’avait pas eu trop d’ennuis, elle se contentait d’ignorer les mecs éméchés qui la sifflait quelques fois. Néanmoins, elle restait prudente quitte à passer pour une paranoïaque finie. Elle marchait d’un pas rapide, rythmé par le tempo de Panic Station quand soudain, des bruits étouffés attirèrent son attention.
D’habitude, les quelques poivrots qui accrochaient leurs regards voyeurs sur sa chute de rein ne faisaient pas de vacarme au point qu’elle le remarque. Ce n’était pas ça… Elle retira immédiatement ses écouteurs et avec la plus grande discrétion possible, elle se glissa vers l’origine du boucan. C’étaient des garçons, des garçons visiblement ivres qui se battaient. Kay se mordit la lèvre lorsqu’elle comprit que le combat était largement inégal, deux gros balèzes contre un petit blond… Le pire dans tout cela était qu’elle ne pouvait pas intervenir. Prendre part à la bagarre était vraiment la pire chose à faire, elle n’était pas ce qu’on pouvait appeler une experte en arts martiaux et vu l’état d’ébriété de ces trois mecs, ils ne risquaient pas de faire attention au principe « on ne frappe pas les filles ». Un frisson parcouru son corps tout entier lorsqu’elle se rendit compte qu’elle connaissait le garçon qui était en train de se faire joyeusement amocher. Il s’appelait Eyden, il était à l’université lui aussi et sa réputation de fêtard et de tombeur le précédait. Elle ne pouvait décemment pas le laisser se faire massacrer… Peu importait, il ne le méritait pas. Elle esquissa un pas dans sa direction au moment même où les deux hommes filaient en titubant. Elle ne se gêna donc plus pour se précipiter aux côtés d’Eyden.

Celui-ci était en sang, il lui rappelait curieusement l’état dans lequel elle revenait de l’école quand elle était petite. Certes, les malabars avaient plus de forces que Nick et sa bande et le résultat était bien pire mais… « Eyden ? Eyden est-ce que ça va ? » lui demanda-t-elle paniquée. Elle n’osait pas le toucher, elle avait peur qu’il se soit cassé quelque chose. Le jeune homme lui adressa quelques paroles incompréhensible et elle comprit que lui aussi, il était fin bourré. Ce n’était pour arranger ses affaires ! « Putain. » jura-t-elle. Elle n’était pas du genre vulgaire mais quand la situation l’exigeait, elle pouvait se révéler plutôt inventive.
Soudain, elle se rappela qu’elle avait choisi le cursus médical. Cela ne faisait que quelques semaines que les cours avaient débuté mais elle savait déjà comment gérer ce genre de situation. Après avoir effectué les premiers soins, elle composa le numéro des secours. « Eyden, je te promets, ça va aller, c’est pas si grave que ça, hein. » Ce mec n’était qu’un idiot. Néanmoins, lui parler pour ne pas qu’il sombre était important. « Je suis là, ça va aller. Je m’appelle Kayleen et… bon, d’accord, tu t’en fous. Mais je te promets, je ne te laisserais pas tomber, je suis là. »

prénom ou pseudo :autumn leaves.. sexe : I'm a girl . âge : 16 ans. ville : . comment as-tu connu le forum ? par concept rpg je crois, sinon ça devait être un top-site. pourquoi t'es-tu inscrit(e) ? parce que... je l'ai trouvé plutôt sympa ! Beau, clean, le scénario de Kay m'a tapé dans l'oeil et j'ai un faible pour les RPG qui se déroulent en Angleterre . que penses-tu du forum ? Il a l'air vraiment sympa !. fréquence de connexion tous les jours, normalement. quelque chose à ajouter J'espère que vous n'aurez pas trop peur de ma folie . code du règlement : code validé, par le magnifique, sublime et fantastique .. démon ;p.