« Tu sais, je crois que je t’aime bien, Phoenix. »
Moi aussi, je t’aime bien, Delilah. Je t’aime beaucoup. Tu es jolie, avec ta cascade de cheveux aussi dorés que le soleil. Tu es adorable, avec ton sourire d’une blancheur éclatante. Tu ressembles à un ange, avec cette robe blanche à voile, qui descends jusqu’à tes genoux. Tu as de jolies jambes, tu sais. Elles sont élancées, longues. Et puis, tu as une jolie peau, aussi. Et j’aime beaucoup tes mains, tu as des mains d’enfants. Elles sont maladroites, fines.
Mais le plus beau chez toi, Delilah, c’est ton putain de regard. En plus d’avoir un visage expressif, tes prunelles permettent encore mieux de te cerner. Et puis, tes yeux sont vraiment magnifiques. On s’y noirait.
Non, vraiment, je t’aime beaucoup. Tu es si jolie, si intelligente. Si parfaite.
« Ah. »
Je n’ai jamais été très doué avec les mots. Je n’ai jamais su exprimer ce que je pensais. C’est sûrement un de mes plus gros problèmes ; penser, mais ne rien dire. Pourtant, ce n’est pas censé être un défaut, de ne pas pouvoir parler de soi-même. Au contraire. Beaucoup trop de gens utilisent, comme unique sujet, sa propre personne. C’est assez blasant.
Ses iris me scrutent, sa bouche se crispe, Mademoiselle attends une réponse. Elle joue avec ses doigts - c’était un signe d’impatience chez elle.
Je l’observe à mon tour, lui offre un léger début de sourire, lui faisant comprendre que, justement, sa réponse, elle l’aura pas. Après tout, c’était pas comme si elle avait posé une question. C’était une affirmation, sa phrase. Y’avait rien à répondre.
« Des fois je me demande si t’es un minimum intelligent. J’me demande si t’es pas con. Ou lent à la détente. Ou indifférent. Voir carrément méchant. Mais j’aurais pas de réponses à ça non plus, hein ? »
Bingo poupée, t’as tout compris. J'acquiesce d’un bref mouvement de tête avant de m’allumer une clope. Je détourne le regard. Parce que j’ai beau aimer ses yeux, je sais qu’en ce moment même elle rêverait d’avoir un putain de gun à la main. Ça lui faisait sûrement mal, que j’évite de dire ce que je pensais. Au fond, elle doit savoir. Elle veut juste l’entendre. C’était évident.
« Mais t’es pas con, Vegas. C’est bien ça le soucis. T’es trop loin de l’être. »
Vegas. Je serre les dents. Elle utilise ce prénom que quand elle commence à s’énerver, à craquer. Elle sait que j’aimais pas Vegas, c’était mon père. Ouais, mes parents m’avaient donnés comme deuxième prénom celui d’mon père. Ils avaient pas cherchés bien loin pour lui. Quelle putain de modeste, mon paternel. C’était lui l’abruti. Qu’il crève en prison.
« Tu l’aimes pas, hein. Ça se voit quand tu penses à lui. A ce niveau là on peut savoir ce que tu ressens, c’est plutôt agréable de savoir que t’es bien humain. Parce que bon, y’a que les morts qui ressentent rien. »
Je tire une latte, souffle un nuage de fumée. Je sais très bien ce qu’elle allait dire ensuite. Elle était du genre à défendre mon géniteur bec et ongles. J’ai jamais compris pourquoi. Sûrement parce que il avait passé pas mal de frics à sa famille pour couvrir des dettes. De l’argent sale. Pourtant, ça avait pas l’air de les déranger. Ils connaissaient très bien le petit trafic de mon père. Les Blackbird étaient connus pour ça, de toute façon, dans le coin. C’était un putain de trafic de drogue, et il s’arrangeait pour que les gamins en aient autant que les adultes. Quelle pourriture.
« T’es mal à l’aise. Ça se voit, là aussi. Regarde, ta main tremble, tu fous des cendres partout, Phoe. T’as pas à l’être. C’est pas comme si c’était un criminel. Bien, il est dans des affaires de drogue, il trempe dans des trucs pas vraiment supers, ouais. Mais il fait rentrer beaucoup de fric. T’as pas à te plaindre, t’as tout ce que tu veux. Ton père t’aime, je crois. Je suis sûre qu’il veuille que tu reprennes l’affaire. C’est de famille ça. T’es fils unique, Phoenix. Ne fait pas foirer ce qui rendra ton enfant heureux, plus tard. L’argent fait le bonheur, et tu le sais autant que moi. Autant que tout le monde. »

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J’aurais tellement aimé qu’elle se trompe. Mais ses prédictions étaient bien bonnes. Sacrée Delilah.
Quelques années plus tard, mon père est en prison. Y’a dû avoir un infiltré, une fuite, ou truc du style. Il est mort dans cette prison - sa vie était réduite suite à sa consommation de drogue qui était plutôt importante, vous voyez. J’ai quand même été triste. J’avais beau dire que c’était qu’un connard, je l’aimais comme un fils aime son père. J’ai dû reprendre l’affaire cinq ans plus tard, mais plus discrètement. Y’avait toujours et y’a toujours les bons fidèles petits toutous qui m’épaule, et les cons qui consomment. Ouais, je fais parti des cons aussi.
Quant à ma mère, elle, elle s’est juste laissé mourir. Je n’ai rien fait pour l’arrêter non plus. Il y a des fois où on doit pas se mêler des décisions des autres. Il y a des fois où mieux faut laisser faire la personne, surtout si elle serait plus heureuse dans un autre monde que dans celui-là. Je regrette simplement de pas l’avoir vue plus souvent et de ne pas avoir été là, à son chevet, à lui tenir la main, à accrocher son poignet récemment tailladé, légèrement cicatrisé, tandis que ses médicaments l’emportait doucement.
Mais il ne faut pas vivre sur des regrets.