Les joues rosies, les yeux brillants, Charlie rit jusqu’à ne plus pouvoir respirer. Elle est dans les bras de son père. Il vient de faire l’avion avec elle. Elle est heureuse. Elle respire la joie de vivre. Elle a à peine un an. Un an où elle avait comblé les petites âmes de sourires, de rires. C’était une enfant qui respirait la joie de vivre. Elle adoucissait les regards qui se posaient sur elle. Elle donnait envie de la prendre dans ses bras. Elle était plutôt calme. Charlie était en quelque sorte l’enfant parfaite. Celle dont tous les parents rêvent, celle qui vous prouve que rien n’est meilleur que l’arrivée d’un bébé dans une vie. Que rien n’est meilleur que d’être parent.

Laisse là tranquille Mark. Encore une fois tu me l’as énervée avant qu’elle aille faire sa sieste. Combien de fois faut-il que je te répète que tu ne dois pas jouer avec elle à cette heure-ci. Ce n’est pas compliqué pourtant.

Oh Mary, ce n’est pas grave, elle fera une sieste plus courte.

Bien sûr cela t’es indifférent. Ce n’est pas toi qui va la coucher. Ce n’est pas toi qui essai de calmer ses cris. Parfois, je me demande bien ce qu’il peut te passer par la tête.

Mary se lève du canapé en cuir en lançant un regard exténué à son époux. Elle prend Charlie dans ses bras, la menant jusqu’à sa chambre. L’enfant obéit à sa mère. Elle ne comprend pas ce qu’il se passe. Elle ne comprend pas qu’il y a eu une dispute. Encore une. Ce qu’elle sait, par contre, c’est qu’elle doit s’allonger dans son lit, fermer les yeux, faire semblant de dormir. Alors elle le fait, sans rien dire. Et Mary ressort de la chambre, dont elle laisse la porte entrouverte. Charlie entend des bruits de pas, puis des mots qu’elle ne comprend pas. Qui sont de plus en plus fort. Puis de plus en plus faible. Les cris deviennent des chants d’oiseaux dans une prairie ensoleillée.

T’as quel âge Lucy?

Huit ans et toi ?

Pareil.

Lucy. Petite blonde aux yeux verts. Elle habite dans le Sud de l’Angleterre. Ses parents sont tous les deux chirurgiens. Ce sont des amis d’Erik Anderson, d’anciens camarades d’école. Ils se sont tous rejoints pour passer des vacances ensemble. Charlie ne les avait encore jamais vus mais elle sait que son père leur téléphone tous les samedis matin. Lucy a un petit frère qui joue avec des camions de pompiers sur le sol de la suite. Les deux autres enfants sautent sur un des lits. Elles savent que dans très peu de temps un des parents va se manifester pour voir d’où provient tout ce bruit. Alors Charlie s’arrête et s’allonge sur le lit. Lucy la regarde puis l’imite.

T’aime bien les chats ?

Oui, c’est doux. Mais ma maman n’en veut pas à la maison. Elle ne veut pas de chien non plus. Je n’ai même pas le droit d’avoir un poisson rouge.

Moi j’ai un chat. Il s’appelle Ronron. Je l’ai eu pour mes sept ans.

Ah ? Moi j’ai eu des chaussons de danse.

Tu fais de la danse ?

Oui, et de la musique aussi. Mes parents disent que c’est important que je fasse du sport.

Mais la musique ce n’est pas un sport.

Non mais ils veulent quand même que j’en fasse.

La porte de la chambre s’ouvre rapidement. Mary regarde les deux enfants. Elle a un air sévère. Elle a toujours cet air sévère. Cela ne signifie pas qu’elle est énervée. Juste qu’elle n’est pas heureuse.

Prenez vos manteaux, nous allons dîner au restaurant.

Les doigts glissent sur les cordes de la guitare à l’apparence boisée. Cela semble facile, naturel. A la voir, on peut trouver cela relaxant. A l’écouter également. Cheveux attachés en queue-de-cheval, tunique blanche, jean usé et tongs. Tout en elle respire l’été. Assise dans son jardin, sur une pelouse fraichement coupée, l’odeur enivrant des brins verdoyants ses narines. Charlie joue. Emily chante. A l’image de sa meilleure amie, elle brille de fraicheur. Tee-shirt blanc en tissu fin, short en jean, lunette de soleil cachant ses yeux noisette. Les yeux fermés. Charlie a un fin sourire sur les lèvres. Son amie a une jolie voix. Elle semble paisible. Le cadre renforce cette sensation de simplicité. La mélodie prend fin peu après la voix.

Tu chante bien ma Lily. J’aimerais tant avoir une aussi jolie voix. Mais tu vois c’est bien que ce soit toi qui l’ai. Comme sa tu chantes et je joue.

Charlie se lève rapidement, aisément. Elle tend la main à son ami en lui souriant.

On va se préparer pour la soirée de ce soir.

En courant, elles se dirigent vers la maison, la chambre de Charlie. Ce soir, elles se rendent à un anniversaire. Ce n’est qu’une soirée entre lycéens mais elles seront les plus belles. Comme toujours. Charlie pense que si elle est autant appréciée c’est grâce à Emily. Après tout, Emily est jolie, intelligente, talentueuse. Elle a une personnalité exceptionnelle. N’importe qui aimerait être elle. Et en la voyant se regarder dans le miroir en tournant sur elle-même, elle n’en a plus que jamais la sensation : Emily est parfaite. Avec cette simple robe bleue nuit, elle pourrait faire chavirer les têtes de tous les adolescents présents ce soir, et rendre malades de jalousie toutes les filles. Mais elle ne mettra pas cette robe, elle optera pour un peu plus de couleur. Et ça lui ira aussi bien. Si seulement elle pouvait être elle.

Cependant, quand elles feront leur entrée, oui tout le monde trouvera Emily très jolie, mais ce ne seront pas vers elle que tous les regards seront fixés, ce seront sur Charlie. Elle n’est pas plus jolie, elle n’a pas un plus joli corps. Elle est attractive. Ce sont peut-être ses longs cheveux bouclés. Ou peut-être son grand sourire blanc. Et finalement est-ce que ce ne serait pas son naturel et sa douceur que l’on imagine au premier coup d’œil ?

S’il te plait Charlie, arrête. Y’en a marre. On a compris que t’étais jolie et gentille. Mais pense que j’existe. Je ne suis pas juste un bonhomme en carton. T’as le droit de faire attention à moi au lieu de râler. Non je n’ai pas remarqué que c’était un nouveau tee-shirt. Tu sais pourquoi ? Parce que je pensais à autre chose. Parce que contrairement à ce que tu crois, j’ai autre chose à penser.

Doucement des larmes coulent sur les joues de Charlie. Cela fait dix minutes que la dispute a éclatées. Elle n’a pas vraiment de sens. Pas de base. Mais ça lui fait mal.

Pourquoi tu pleures Charlie ?

Pour rien. Laisse-moi c’est bon je m’en vais. On arrête là. C’est aussi bien.

Sans attendre de réponse, elle s’enfuie en courant. Il ne fait pas très beau. La pluie menace de tomber. Cela ne l’empêcher pas d’aller s’asseoir dans un parc pratiquement désert. Elle s’assoit contre un arbre. Ses genoux viennent rejoindre sa poitrine, elle les encercle de ses bras. Sa tête vient se poser dessus. Et elle pense. Elle se souvient. Elle renifle. Essaie d’oublier. Elle voit l’image de sa mère qui lui gronde dessus parce qu’elle n’a pas fait correctement ses devoirs. Elle voit le visage de son père qui n’essaie plus de tisser de lien avec son épouse. Elle voit à quoi ressemble la vie de ses parents : une femme autoritaire et un homme meurtris.

Allez Charlie, viens là.

Gregory la prend dans ses bras. Ils restent ainsi pendant de longues minutes. Trop courtes pour la jeune fille. Il s’assoie à son côté et prenant sa main.

J’ai cru que je n’allais jamais te retrouver. Qu’est-ce qu’il s’est passé Charlie, pourquoi tu es partie comme ça ?

Parce que ça ne sert à rien que l’on continue tous les deux.

Et pourquoi ?

Il attend, elle ne répond pas.

Tu ne veux pas me le dire ?

Je me suis promis de ne jamais faire comme eux.

Comme qui Charlie ?

Mes parents. Ils se disputent tout le temps. Enfin avant ils se disputaient, maintenant ils s’ignorent. Si on en arrive à se disputer, nous n’avons pas d’espoir d’être heureux ensemble.

Charlie, les disputes c’est normal dans un couple. Chaque amour est différent. Et je te promets que tu n’auras jamais à vivre ce que tes parents vivent. Jamais.

J’ai peur Greg.

Ne t’inquiète pas, je suis là.

Après une journée écourtée de deux cours, Charlie rentre chez elle. Elle avait rendez-vous en fin d’après-midi avec Gregory et voulait en profiter pour déposer ses affaires chez elle avant de le rejoindre. En mettant la clef dans sa serrure, elle se rend compte que la porte est ouverte. Ce qui est étrange puisque ses parents sont tous les deux au travail. Elle rentre soupçonneuse dans le grand salon. En se dirigeant vers sa chambre elle remarque les chaussures de sa mère sur la moquette. Pensant que Mary était rentrée parce qu’elle était malade, elle alla voir dans sa chambre. Mais à peine eut-elle le temps de voir le contenu de la pièce qu’elle referma directement la porte et aller dans la sienne. Où Mary la rejoint quelques minutes plus tard.

Qu’est-ce que tu me veux ?

Ce n’est pas ce que tu penses Mary, nous…

Oh non, vous n’étiez pas en train de faire l’amour. Qui plus est sur le lit où papa dort tous les soirs. Il est au courant que tu lui es infidèle ? Parce que passe encore que ça ne va plus entre vous, que vous ne vous supportiez plus, que vous alliez voir ailleurs. Mais tu ne vis pas toute seule. Et je n’ai pas envie de rentrer chez moi le soir et de m’apercevoir qu’il y a un homme en serviette de bain dans la maison qui regarde tranquillement un film. C’est dégoutant ce que tu fais. Si t’avais envie qu’on soit une famille, rien qu’un tout petit peu, tu ne serais pas ici en ce moment, tu serais en train de bosser, ou au moins à réfléchir à ce que nous mangerons ce soir. Mais non, tu t’en fous bien ce nous. On est pas une famille, on ne la jamais été. On ne le sera jamais.

Charlie…

Au fait, l’année prochaine je pars à Londres. Ce sera toujours mieux que de continuer à vivre ici.

Comment ça tu pars à Londres. Il n’en est pas question. Tu restes ici, à Manchester !

Essaie de m’empêcher ! Tu vois, depuis que je suis petite j’essaie d’avoir de bonnes notes, pour que tu sois fière de moi. Mais tu n’es jamais fière. Alors je suppose que si je prends des décisions, d’adulte, là enfin tu respecteras qui je suis.

Parce que tu penses qu’aller à Londres est une décision d’adulte ?

Oui. Parce que tu m’as dégouté de l’école. Et si Emily...

Oh encore cette Emily, j’aurais dû m’en douter. Je t’ai toujours dis de te méfier d’elle.

C’est ma meilleure amie. Et tu sais quoi ? Elle me connait bien mieux que toi ! Pourtant, elle n’est pas ma mère, elle ne m’a pas porté dans son ventre, elle n’a pas essayé de m’élever. Elle n’est pas ce que tu aurais dû être, mais elle est largement plus importante pour moi que tu ne le seras jamais. Papa acceptera, elle je sais que pour une fois, il ne cédera pas face à toi !

Charlie presse le pas et se dirige vers la sortie de la maison. Elle dormira probablement chez Gregory ce soir, et pendant plusieurs jours.

Et depuis ce soir-là la vie des Anderson ne changea pas vraiment. Les parents continuaient à entretenir ces mêmes rapports. Mais en obtenant ses diplômes de fin de secondaire, Charlie se vit ouvrir les portes de la capitale. Son père l’aidait financièrement, ce qui ne lui posait aucun problème. Il était ravi de voir que son enfant, sa seule enfant, soit heureuse. Et si cela impliquait qu’elle parte vivre à Londres, avec sa meilleure amie, pour faire des études artistiques, alors il plierait. Cela faisant par la même occasion perdre pied à sa mère qui ne supportait pas de ne pas pouvoir contrôler la vie de sa fille.

Gregory, jeune homme attentionné et éperdument amoureux de Charlie vit son cœur brisé après un an de relation. Ce qui était déjà un record. Charlie avait toujours quitté les garçons avec qui elle avait des relations quand ces dernières amenaient au stade de la dispute. Personne n’était venu la chercher, la rassurer comme Gregory l’avait fait. Et c’est pour cela que, même si elle ne le voyait plus jamais, il resterait présent en elle. Comme celui qui lui avait prouvé qu’un réel amour est plus fort que tout.

Ce que Charlie ne regrettera jamais, c’est d’avoir suivie Emily. Sa complice de toujours. Manchester, Londres, ce n’était pas le plus important. Tout était dérisoire sauf la présence de l’autre. Plus que des amies, elles étaient devenues des sœurs, liées à jamais. D’un incroyable soutient, Charlie sait qu’elle pourra toujours compter sur Emily. Charlie a choisi d’étudier la danse. Et pas pour n’importe qu’elle raison. Elle n’avait jamais aimait l’école comme elle aurait voulu. Elle s’efforcer de faire bien pour sa mère. Mais quand elle a pu réellement choisir ce qu’elle voulait faire, une seule chose s’imposa à elle : la danse. Oui, elle aimait bien jouer de la guitare et du piano, mais plus que tout elle aimait danser. Et elle avait toujours reçus les plus beaux compliments sur ses prestations. C’était un peu comme une évidence. Elle n’avait jamais associé la danse à un plaisir. Puis, en grandissant, elle avait connu des déceptions, rien que dans sa propre famille, et les cours de danses étaient devenus tellement importants. Elle s’y donnait corps et âme. Comme dans son amitié avec Emily.

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