PART. 1 ∞ FAMILY
► UN MATIN D’OCTOBRE 2008, A LA MAISON.
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► JUIN 2010, AUX ALENTOURS DE 16h, QUELQUE PART DANS UN PARC DE LONDRES.
« Comment tu la trouves cette fille ? » « Hm... Elle serait pas assez bien pour toi. » « Et ce mec ? » « Pas assez bien pour toi non plus. » « Nan, mais pour toi. » « Trop tard, il est déjà loin de toute façon. » Je souriais comme un con. Un con heureux. Je passais un bras autour des épaules de ma sœur. On trainait au parc tous les deux, comme à peu près tous les weekends. C’était notre passe-temps favori. On arrivait comme des petits princes, on s’posait sur un banc ou dans l’herbe, en fonction de la saison, et on s’amusait à détailler les gens qui passaient devant nous. Oh, celle-là, c’est sûr qu’elle a des faux seins. Et t’as vu sa pote ? Même grand-mère s’habille mieux. Le mec qui fait son jogging, là, il s’croit au marathon alors qu’il sait pas courir droit. Bref, tu vois le genre, on était comme deux vipères prétentieuses, le roi et la reine qui dirigent le peuple. Même le petit papi qui promenait son chien avait le droit à nos critiques. C’était jamais méchant, mais on se tapait des crises de fou rire interminables. Hillary est moi, on a toujours été proches, inséparables. On se ressemble, on se comprend, on se confie tout. C’est ma sœur, mon bébé. Je la partage avec personne, j’ai tendance à la surveiller, à la coller, à toujours vouloir être au courant de ce qu’il se passe dans sa vie. Comme nos parents ne sont jamais très présents, c’est moi qui m’occupe d’elle, c’est moi qui la protège. Ça a toujours été comme ça, et j’ai pas envie que ça change.


► DEUX ANS PLUS TARD, MÊME ENDROIT, MÊME HEURE, MÊME OCCUPATION.
« Oh, Esteban, t’as vu ce mec ? » « Qui ? » « Le grand brun, là, il est trop beau gosse. » « Sérieux ? Arrête, il est moche. » « T’es pas marrant. C’est bon, tu peux avouer qu’il est mignon, ça fait pas de toi un gay. » « Non, mais non. J’trouve pas, c’est tout. » J’avais dit ça sèchement, presque méchamment. J’aimais pas comment Hillary regardait le mec. Je devais faire une tête bizarre, et ma sœur s’en rendit compte. « On dirait que t’es jaloux. » Ouais, j’étais jaloux. J’étais jaloux, parce que je venais de comprendre que dans peu de temps, je ne serais plus le mec le plus important pour ma sœur. Elle allait se mettre en couple, passer des moments avec son mec, prendre son indépendance de jeune fille. Elle allait bientôt vouloir que je lui foute la paix, que j’arrête de me soucier d’elle comme si c’était toujours une gamine. Et pourtant, l’enfance était loin. Elle ne me demandait plus avec un sourire malicieux de lui coiffer les cheveux et de lui faire des tresses. Elle ne s’amusait plus à fabriquer des bracelets en marguerites pour me les donner. Elle ne me réclamait plus un câlin et un bisou avant de dormir. Et elle ne le ferait sûrement plus jamais. C’était bizarre de changer. J’étais jaloux, mais j’étais surtout un peu malheureux. Hillary suivait toujours le garçon du regard, alors qu’il était bien loin. Je me levais. « Je rentre, j’ai des devoirs à faire. »


► DÉBUT 2012, A LA MAISON.
C’était un matin, il faisait froid. J’avais demandé à mes parents de venir dans le salon. Hillary était là aussi. J’avais fait un choix, peut-être le plus important de ma vie, pour le moment. Il ne me restait qu’à l’annoncer. Ça allait pas leur plaire, ils allaient s’y opposer. J’me doutais bien qu’ils sauteraient pas au plafond, qu’ils fêteraient pas ça avec le champagne. Mais je pouvais plus reculer. « Je vais aller au Royal College of Art, l’an prochain. » J’avais été direct. Un peu trop j’pense, vu la tête que faisaient mes parents. Hillary, elle, souriait. Elle s’en doutait. Elle savait très bien que j’étais passionné de musique, même si je ne m’en ventais pas. Je jouais de la batterie et de la guitare depuis que j’étais petit, mais mes parents ne pouvaient pas se douter que je voulais faire ça de ma vie. En plus, je chantais toujours seul ou avec des amis, jamais devant eux. J’avais pas envie qu’ils me jugent. Si je leur avais dit plus tôt, ils auraient tout fait pour briser mon rêve. C’est mon père qui prit la parole. « Esteban, c’est une blague ? Tu n’as rien à faire là-bas. Tu sais très bien que c’est impossible et que tu vas travailler dans les finances et l’économie, comme nous. » Je me tournais vers ma mère. Bordel, sur ça, ils étaient toujours d’accord. « Les enfants de bonne famille n’ont rien à faire dans les écoles d’art. Ton père a raison, ce sera beaucoup plus stable pour toi de gérer l’héritage, de faire des placements ; plutôt que si tu joues de la guitare dans la rue comme les pauvres. » Je rigolais presque, devant les clichés du métier de musicien qu’avait ma mère. Ma décision était prise. J’étais prêt à tout, à leur faire du chantage, à les menacer de fuguer.  « J’ai deux de mes meilleurs amis qui iront à cette université, pour suivre des études de musique comme moi. On s’installera tous les trois, comme ça vous aurez plus besoin de voir ma tête. Tout l’argent de poche que vous m’avez offert depuis tant d’années va enfin servir, et au pire je trouverais un petit boulot. Je ne vous demande rien, sauf de remplir quelques documents et de signer là où il faut. » Mon père se leva brutalement et quitta la pièce. Ma mère ne dit rien. Et merde.
Ils ont fait la gueule pendant deux semaines. J’ai pas lâché l’affaire. Ils ont fini par signer mon truc. Heureusement que je m’y étais pris en avance.

PART. 2 ∞ FRIENDS