Une nouvelle fois, je me réveillais dans un entrepôt, je savais que j'étais en train de rêver, mais je n'avais aucun moyen de me réveiller. Je faisais ce rêve toutes les nuits depuis bien trop longtemps. Depuis mes seize ans, ce rêve était récurrent. Je me réveillais dans l'entrepôt, vide et sombre, j'avançais vers des bruits. Deux hommes qui parlent, se disputent. « Tu es sorti ?! » « Bien évidemment, ils n'avaient rien contre moi ! » « Tu m'a trahi, tu leur as tout dit ! » Cette voix, je ne la connaissais pas, mais la deuxième m'était plus que familière. « Je ne t'ai jamais trahi ! Comment tu as pu oser t'en prendre à ma fille ! » A chaque fois, à ce moment-là, je ressentais des douleurs dans les articulations, du sang se mettait à couler de mon arcade, des bleus s'affichaient au fur et à mesure sur mes membres, j'avais des coupures un peu partout, et plus j'avançais vers la discussion des deux hommes, plus j'avais du mal à marcher à cause des contusions qui affluaient sur mon corps. « Tu as tué la fille, et tu as eu raison. Mais prendre ma fille, tu as fait la plus grosse connerie de ta vie ! » « Ta salope de fille me suivait, je ne pouvais pas prendre de risques ! Elle méritait le même sort que les autres, celui que tu as réservé aux autres. » « C'EST MA FILLE ! » Il hurlait. J'étais à quelques pas des deux hommes, je commençais à reconnaître l'inconnu, c'était notre voisin à ma famille et à moi, l'autre c'était mon père. « Papa ?! » Les souvenirs de cette journée affluaient dans ma tête, la découverte d'un corps dans le quartier résidentiel, l'arrivée du FBI, l'arrestation de mon père, les regards du voisinage, les discussions avec le FBI. « Ton père est en contact avec un autre homme, quelqu'un avec un comportement différent des autres » Personne ne nous avait parlé à ma mère et à moi ce jour-là, tous les voisins nous avaient dévisagé lorsque mon père avait été arrêté. C'est ce que j'avais dit au FBI, jusqu'à ce que je remarque le voisin, bienveillant, tournant autour de la maison. Évidemment, c'était samedi, et mon frère était en déplacement avec son équipe universitaire. J'avais essayé de le joindre toute la journée, il n'avait jamais répondu. Je ne savais pas quel heure il était. « Papa, c'est vrai ?! A Seattle aussi c'était vrai ?! Papa... » J'étais en larmes, même si je ne les sentais pas couler, elles se mélangeaient sûrement avec le sang de mon visage. « Elle va nous balancer  ! Si tu ne l’as tue pas, je le fais ! » Mon père me fixait, une lueur noire dans les yeux, je ne l'avais jamais vu ainsi. J'avais peur. Soudain, un bruit de porte explosée résonna dans l'entrepôt. Il y avait du mouvement, mais je restais là, à fixer cet homme qui avait les traits de mon père, mais qui ne l'était plus. « Ma petite puce... Ma Aaliyah... » C'était comme une supplication, une demande  de pardon. « FBI PERSONNE NE BOUGE ! » Comme à chaque fois, je me sentais à nouveau en train de sombrer dans un trou noir. Et comme à chaque fois, je me réveille dans un sursaut, retenant un nouveau cri, en sueur, et en panique. J'essaie de reprendre un souffle normal, j'allume la lumière de ma table de chevet, où trône une photo de mon frère et moi. Une nouvelle fois, je remarque que les larmes sont bel et bien réelles, et que ce rêve que je fais n'est pas juste un rêve, il est la réalité. Souvenir de cette journée qui a ruiné ma vie. Quelques minutes plus tard, mon oncle entre dans la chambre avec un verre d'eau. « Ma belle... » Il me tend ce verre, me serre dans ses bras, et je me sens en sécurité.
« Ton père est un violeur, je suis sûre que c’est par toi qu’il a commencé  ! » « T’es aussi dégueulasse que lui  ! » « Une petite pute en puissance  ! » Je ne rêvais pas cette fois-ci, j’étais en pleine rue, quelques jours à peine après mon retour de l’hôpital, encore un peu courbaturée des coups que j’avais reçu. Mais je ne disais rien, j’étais comme incapable de me défendre. « C’est à cause de toi que mon père est devenu comme ça  ! Petite garce  ! » Les jeunes du quartier s’approchaient de plus en plus de moi et j’avais peur, je n’avais plus aucune confiance en moi depuis la semaine passée. C'est à ce moment-là, que je sentis un déséquilibre de mon pied et je me retrouvai à terre. Les autres se mirent à rire, je ne comprenais pas pourquoi il n’y avait que moi qui prenais. Je n’étais pas la seule, il y avait mon frère, et les deux fils du voisin, mais non juste moi. J’étais incapable de répliquer et j’étais par terre sous leurs rires impossibles. « Dégagez, laissez-la tranquille bande d’enfoirés  ! » Je me retournai vers mon frère aussi choquée que les autres. Mon frère était parti ce matin en déplacement, il ne devrait pas être là, les jeunes avaient dû avoir le même raisonnement. Ils avaient aussitôt détalé. « Qu’est-ce que tu fais là  ?! Je n’avais pas besoin de ton aide  ! » Je fixais mon frère, même si je savais qu’il n’y était pour rien, je lui en voulais de ne pas avoir été là la semaine passée, je voulais trouver un responsable à mon agression, et j’avais trouvé mon frère, même si le vrai responsable était sous les barreaux à présent. « Écoute, je sais pas pourquoi tu m’en veux, je ne comprends pas, mais sache qu’il est hors de question que je te revois dans l'état dans lequel on t’a retrouvé la semaine passée  ! » Je le fixais toujours, notre relation avait toujours été comme celle d’un frère et une sœur. On se déteste, on ne fait que de s’engueuler pour la moindre raison. « Ouais, parce que c’est dingue, mais t’es ma sœur et je t’aime, et je ne laisserais plus personne te faire souffrir  ! » Je me retrouvais dans ses bras, et le barrage que j’avais construit après l’arrestation laissa place à un torrent de larmes.
Suite à l'arrestation de mon père, mon frère, ma mère et moi avons changé d'identité. Changer de vie pour essayer d'oublier cette journée. Malgré la protection des témoins, une nouvelle ville, une nouvelle maison, une nouvelle vie, et de nouveaux voisins, mon frère passe maintenant plus de temps à l'extérieur, à traîner avec je ne sais qui, je ne sais pourquoi, et je ne désire pas le savoir. Ma mère, elle, noie tout ce qu'elle peut dans toutes les substances illicites qu'elle trouve  : médicaments, alcools, drogues,... Le tout, mélangé, ne fait pas une bonne équation. Je passe mon temps à dessiner ce qui me passe par la tête, cherchant tous les moyens pour fuir les souvenirs. Je suis rentrée du lycée un soir. « Maman, je suis rentrée ! » Aucune réponse, pourtant, j'entends couler l'eau dans la salle de bain. « Eyden ?! » Je passe dans la chambre de ce dernier, sachant très bien, que je ne trouverais rien ni personne dans cette pièce. Puis je me dirige vers la salle d'eau, doucement. « Maman ?! Maman, je peux entrer ?! » Aucune réponse, je colle mon oreille à la porte, je toque, toujours pas de réponse. « Maman ?! » J'ouvre alors la porte, adaptant mes yeux à la vision qui s'affiche devant moi. Ma mère, gisant dans une mare de sang, les veines coupées, une bouteille d'alcool vidée sur le sol, et une plaquette de médicaments vide sur le sol. Son corps est blanc, presque translucide, je n'ai plus aucune illusion, rien n'arrive à sortir de ma bouche, aucun son, aucune action, mon cerveau a quitté mon corps. Mes jambes cèdent, ne supportant plus le poids de mon corps, puis j'arrive à sortir un son, un cri, un hurlement, mêlé à des pleurs. Je ne sais pas combien de temps je suis restée ainsi, comme inerte. Seuls les cris, les hurlements et les larmes, indiquaient que j'étais encore vivante. Je me retrouve dans des bras, ceux de mon frère, il me serre contre lui, il me parle je le sais, mais je n'entends pas, je ne comprends pas, je ne perçois qu'un bourdonnement dans mes oreilles. Quand je me réveille, je tente de me rendre dans la salle de bain, pour me prouver que j'ai rêvé cette scène, mais je ne suis pas chez moi. Je suis habillé d'autres vêtements, vêtements que je ne connais pas, vêtements trop grands pour moi. Je panique, je ne reconnais pas la pièce où je suis. Pièce impersonnelle, je cherche un indice. Puis je sursaute, une voix désincarnée sort du poste de radio. « Il est midi, et voici les infos du jour » Après avoir trouvé le poste, je l’éteins et j'attends. « Tiens t'es réveillée ! Ça va aujourd'hui ?! » C'est la voix de mon frère qui résonne lorsque ce dernier ouvre la porte. « T'étais où ?! On est où ?! Qu'est-ce qui ce passe ?! » Je débitais ces questions, j'avais l'impression de n'avoir pas parlé depuis des jours. « T'es revenue ! » Je n'eus pas le temps de répondre, ou de comprendre ce qu'il voulait dire que je me retrouvais dans ses bras, presque étouffée par lui. « Ça fait trois jours que t'es là sans être là, j'ai cru que je ne te retrouverais jamais » Je regarde mon frère, sans comprendre, trois jours ?! « Depuis que je vous ai retrouvé, toi et maman, tu ne parles plus, tu dors et te réveille, mais rien de plus, ton corps était là, mais ton esprit était loin ! » C'est à ce moment-là, que je compris que je n'avais pas rêvé la scène, ma mère s'était bel et bien suicidée. Je me laissai aller aux larmes, à nouveau. « Oncle Dom est là ! » Je savais très bien pourquoi il était là, il était notre seul parent proche en vie, maintenant que nous étions orphelins, il nous fallait un représentant légal.
Ce soir-là, en rentrant du boulot que j’occupais pour me faire un peu d’argent après le lycée, je m’étais surprise à suivre une conversation entre mon oncle et ma tante. J’étais restée contre le mur à côté de la porte durant toute la conversation, sans rien dire. « Dom, tu ne peux pas leur cacher cette lettre  ! » « Bien sûr que je le peux, j’ai promis à ta sœur de veiller sur eux comme mes propres enfants, et cette lettre c’est tout ce que je ne veux pas. Entre Eyden qui essaie de se reconstruire par je ne sais quel moyen en rentrant déchiré presque tous les soirs, et Kaia qui ne sort plus, qui fait tout pour éviter le moindre contact avec le reste du monde, je ne veux pas risquer que tout parte en vrille » La conversation s’était arrêtée là. J’avais claqué la porte d’entrée et indiqué mon arrivée, comme si je n’avais rien entendu, pour ne pas leur mettre la puce à l’oreille, même si je me doutais que je ne serais pas très crédible. Le soir même je partais en expédition pour retrouver cette lettre, la poubelle, le déchiqueteur à papier, rien, je fis les tiroirs puis je découvris un dossier noir, avec le nom de mon père écrit à la main. Je ne voulais pas l’ouvrir, mais c’était plus fort que moi. J’avais pris la peine de fermer le bureau à clé, je m’étais installée sur la chaise et m’étais mise à lire le dossier de mon père. C’était son casier, je devais blanchir au fur et à mesure des lignes que je lisais, la bile me montait à la gorge jusqu’à ce que je trouve une enveloppe de la prison au nom de mon oncle mais à notre attention, à mon frère, Eyden et à moi, Aaliyah. Cela faisait tellement longtemps que l’on ne m’avait plus appelée ainsi. Notre père nous demandait de venir le voir au parloir, il avait des choses à nous dire. Je n’avais pas dormi de la nuit. J’essayais d’attendre mon frère, mais lorsqu’il arriva, il était complètement mort, et en colère. Je compris que c’était toujours ainsi et que jamais je ne le retrouverais comme avant, et que ce courrier le tuerait encore plus vite que maintenant. […] Pièce d’identité en main, et courrier dans mon sac, ce soir-là après le travail, je partais en direction de la prison ou mon père séjournait. J’avais dû prendre le train, et je n’aurais pas de visite avant le lendemain, mais mon plan était rodé, et il allait devoir marcher jusqu’au bout  ! Le lendemain, après avoir essuyé un appel de mon oncle, je déposai mon portable et tout objet jugé dangereux par la police du comté dans une boite avant de rentrer dans le parloir. Wahoo, ce n’était pas du tout comme dans les films, pas de vitre et pas de téléphone, une pièce vide avec des tables rondes, et mon père assis sur l’une d’elle, pris de remords, je voulais prendre mes jambes à mon cou, mais j’étais allé trop loin pour faire marche arrière. « Ma petite princesse, tu es venue, où est ton frère  ?! » Ce surnom me donna envie de vomir, et j’en fis une grimace de dégoût afin qu’il remarque que je n’étais plus «  sa petite princesse  ». « Il n’est pas au courant de l’existence de cette lettre  ! Je suis venu entendre ce que tu as à dire pour que je puisse enfin vivre normalement comme toutes les filles de mon âge, sans avoir ton ombre qui me poursuit  ! » J’étais moi-même surprise par cette remarque, jamais je ne me serais cru capable d’un tel aplomb. « Écoute-moi bien. Un jour je sortirais et je reprendrais ma vie telle qu'elle était avant, avec mes enfants. Je n'ai pas été là alors que vous traversiez des épreuves, la mort de maman, et tout le reste mais ça va changer » Je n'en revenais pas de ce que mon père venait de me dire, et le fait qu'il croit dur comme fer pouvoir revenir dans nos vies me donna envie de rire, de rire jaune et c'est ce que je fis. Je pris un réel fou rire sous les yeux emplis d'incompréhension mon père. « Si on en est là aujourd'hui, c'est à cause de toi. Si ma maman est là où elle est, c'est à cause de toi. Si Eyden fait ce qu'il fait, c'est à cause de toi. Si je n'ai rien à part les cours et le boulot après l'école, c'est à cause de toi. Alors si un jour tu sors d'ici, quelle qu'en soit la raison, jamais nous ne reprendrons notre vie là où elle s'était arrêtée, parce que tout ce qu'il s’est passé, c'est à cause de toi, et jamais je ne te le pardonnerais, JAMAIS  ! » Sur ces quelques mots, je pris mon sac et sorti de la pièce. J'étais comme libérée, je me sentais mieux, j'avais déballé mon sac à mon père, je pouvais vivre sans lui à présent. « Aaliyah ! » l'entendis-je dire derrière moi, mais je ne me retournais pas. Lorsque j'arrivais près de la porte, elle s'ouvrit sur mon oncle. Il n'avait jamais été aussi en colère, me privant de sortie pendant un mois. Mais ce soir-là, je pris la décision de partir en douce me détendre dans un bar à cocktail et commencer ma nouvelle vie. Une nouvelle Kaia était née, et je n'avais pas eu besoin de changer de prénom, ni de changer de ville.
« Kaia ?! Tu as du courrier ! » Je me remettais encore une fois de mon cauchemar qui ne s'arrêtait pas de me poursuivre. « Londres, hein ?! » Je sentais la déception dans la voix de mon oncle, j'étais majeure à présent, je pouvais faire ce que je voulais. « Désolé Dom, mais j'ai besoin de changer d'air, j'en peux plus de ce cauchemar qui me hante, je peux plus vivre comme ça ! » J'avais entre les mains, la lettre qui pouvait changer à jamais ma vie. Une réponse positive et je partais pour Londres le plus rapidement possible. Je ne pouvais pas imaginer une réponse négative, et si c'était le cas, je partirais quand même pour Londres. J'avais besoin de changer d'air, Eyden était parti en Europe pour ses études, je n'avais plus personne ici, en Amérique. « Kaia, quelle que soit la réponse, je comprends ton besoin de partir. Certains souvenirs sont trop présents en toi pour s'en aller avec juste six heures de décalage, mais sache que je serais toujours là, et je te suivrais là-bas, il est hors de question que je te laisse découvrir une nouvelle ville sans moi. J'ai promis à ta mère de prendre soin de toi. » « Dom, tu ne peux pas lâcher ton boulot, ils ne voudront jamais ! » « Tu as tort sur ce point-là. Le FBI m'a déjà accordé une mutation pour Londres, il semblerait que j'ai des statistiques plus que satisfaisantes, alors quelle que soit la réponse, on partira à Londres pour le mois d’Août ! » Je n'avais toujours pas ouvert mon rêve en enveloppe, mais je me fichais de ce qu'elle disait, je pris mon oncle dans mes bras. Il n'était pas mon père et pourtant, j'avais envie de l'appeler ainsi. « Alors ?! » Je pris une inspiration avant de couper l'enveloppe. Je cherchais les mots critiques, avant de beuguer devant ces mots. « Alors Kaia ?! » « Ad... Admise, je suis admise ! » lâchais-je alors avant de fixer mon oncle dans les yeux, puis de me jeter dans ses bras.