Ehm.. Il fait quoi le tank, là ? La guerrière avance rapidement, assène un coup à l'ennemi. Professionnellement, presque. Esquive le trait de glace, se remet à frapper. Se réfugie quatre secondes exactement derrière son bouclier. Quelques touches du clavier pressées, et elle ranime le mage tombé. Elle repart à la charge, sa queue de cheval brune flottant dans son sillage. S'acharne franchement sur le golem, peu importe son bouclier. Se fait projeter au sol, se redresse quelques instants précisément calculés plus tard. Charge, pose un étendard. L'ennemi est pratiquement achevé. Plus que quelques tirs, et.. Oui ! Le rôdeur a pour une fois fait ce qu'on lui demandait. Eh bein. J'ai cru qu'on l'aurait jamais.. Oh, Acy, regarde c'que j'ai loot ! Rapide regard. Gnii. Brefs éclats de rire masculins en réponse au petit bruit de mécontentement, émis par la seule présence féminine sur cette conversation. Qui donne quelques légers tapotements sur son micro, provoquant quelque râlement et grognement. Rit, tout doucement, de façon à peine audible. Bref silence. Elle ferme les yeux ; savoure. Se laisse tomber en arrière sur sa chaise, s'appuyant contre le dossier. Étend ses jambes devant elle, faisant reculer le siège de bureau à roulettes ; pose ses chevilles sur son bureau. Les blagues salaces reprennent rapidement. Soupir. Pause clope. Sans attendre de réponse elle ôte son casque, le laisse chuter sur le parquet. Attrape son paquet de Lucky Strike ; son Clipper. Fait tourner le siège, laisse tomber ses pieds sur le sol. Ouvre le paquet, attrape une cigarette à l'aide de ses doigts fins au vernis noir écaillé, la glisse entre ses lèvres. Repose le paquet. Prend dans sa main libre la tasse de thé vanillé, à présent froid, oubliée là. Se dirige machinalement vers la fenêtre ; l'ouvre, s'installe sur le rebord. Elle allume la cigarette, craque la bille. Tire une bouffée. Soupire doucement d'extase, presque. Balaye d'un regard lent le studio en foutoir. Lent comme sa vie. Quelque chose comme huit mois qu'elle vit ici. Sept qu'elle est en froid avec ses parents, à cause de son incapacité à décider quoi que ce soit, à se 'bouger', comme ils disent. Quatre qu'elle ne prend plus qu'occasionnellement la peine de se lever. Trois qu'elle n'a reçu personne dans son minuscule taudis. Cinq qu'elle se dit qu'il faudrait ranger. Neuf qu'un homme ne l'a pas touchée. Deux qu'elle laisse trainer la bouteille de Gin vide près de son lit. Souvenir d'une nuit dont elle n'en garde aucun. Un qu'elle a passé son dernier coup de téléphone à son frère. Nouvelle taffe, elle regarde le papier se consumer lentement sous les braises rougeoyantes. Hypnotisant. Elle ne sait plus réellement ce qu'elle espère ; qu'attend-elle ? Car elle attend. Elle en a conscience. Rabat une mèche de cheveux roux en arrière. Elle attend quelque chose. Son immobilité ne peut signifier que cela. Oh, et puis. Un regard vers l'extérieur. Une grimace à cause du soleil. Tous ces gens qui s'agitent. Lui échappent. Comme la fumée de sa clope, qui continue de brûler toute seule. Une bouffée. Elle s'en moque. Rire clair, bref ; légèrement désespéré. Une gorgée de thé froid. C'est pas si mal. Sa vie lui convient, elle pense. Ça pourrait être pire. En se débrouillant bien, elle a toujours de quoi manger. Plus rien à la fin du mois, mais elle paye son loyer. Se souvient de temps en temps qu'elle doit aller travailler. Se fait draguer par son patron. Ne s'en rend même pas compte. Trop obsédée par tous ces anciens disques. Elle aime bien la musique, ouais. Quand elle en écoute, on ne lui parle pas. Le rêve. Ça lui évite de réfléchir. Elle n'aime pas trop parler. Sauf à ses amis. Avec eux elle ose parfois se lâcher. Très légèrement. La foule la terrifie. L'angoisse la prend ; les larmes affluent. Elle l'évite. Reste bien derrière les quatre murs de son studio. Préfère fumer ses joints seules que l'affronter. I’m waking up to ash and dust,
I wipe my brow and sweat m.. Nouveau soupir. Elle attrape le téléphone bousillé qui crache Imagine Dragons, appuie machinalement sur le 'téléphone vert'. Tousse doucement ; s'éclaircit la voix. Presque. Avale sa salive. Elle n'a pas regardé le numéro avant de décrocher. Stupide. Ahem. Ouais.. ? [...] Oh. J'arrive, alors.. Je me dépêche. Le téléphone vient pour la énième fois depuis le début de sa vie s'écraser non loin du lit. Lit ? Un sommier posé sur le sol. Un matelas dessus. De nombreux coussins. Une couette ; trop de brûlures de cigarette, de charbon. Elle s'habille à la va-vite, enfile ce qui lui passe sous la main. Enfile les premières chaussures qui croisent sa route. Passe la lanière de son sac sur son épaule. Y glisse les cigarettes, le feu. Ce fichu téléphone. Oublie ses clefs, pour ne pas changer. Glisse les mains dans ses mitaines. Sort sans prendre la peine de dire au revoir au micro. Claque la porte derrière elle. Lâche un juron ; comprend qu'elle a oublié lesdites clefs. Descend les escaliers en courant presque, se hâte jusqu'au lieu de rendez-vous. Se retrouve rapidement à serrer dans ses mains une tasse de café-crème brûlant comme le ferait une sans abris avec sa soupe en plein mois de janvier. Écoute d'une oreille distraite le sermon sur sa vie qu'elle gâche. Ses capacités. Grommelle qu'elle a oublié ses cachets. Le regard plongé dans le liquide. Boit une gorgée. Fume à nouveau. Cesse progressivement d'écouter. Écrase le mégot sous sa bottine. Boit une seconde gorgée. J'dois aller au boulot. Embrasse rapidement la joue de son cousin. Glisse ses écouteurs dans ses oreilles. Salut, Fauve.. Monte le volume au maximum. Se hâte de s'éloigner. Laisse tomber le gobelet en carton sans même s'en apercevoir. Avance machinalement vers la boutique. Indifférente au bruit ambiant. Aux personnes, aux véhicules, aux bâtiments. Tout juste dix-neuf ans.