Chapitre premier ∂ « Harmonia, qu'est-ce que tu es encore allée faire dehors ? » Les yeux embués de larmes, la petite brunette aux cheveux tressés en une large natte, regardait sa mère rouspéter après elle. Elle avait aperçu un arc-en-ciel par la fenêtre et était sortie en vitesse avec sa petite salopette en jean. Mais ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était que la pluie se remettrait à tomber et qu'elle glisserait à plat ventre dans la boue qui persistait au milieu du jardin à l'italienne parfaitement entretenu. Et elle était rentrée, salie de la tête aux pieds, quand sa génitrice passait dans le hall à ce moment-là. Constatant les dégâts, Adriana Molinari croisa les bras, les sourcils froncés. Sa fille était sa mine d'or, sa poupée, celle qui faisait rentrer encore plus d'argent dans les caisses. Interdiction qu'elle soit cassée ou dysfonctionnelle. « Mary !? » Elles pouvaient entendre des pas résonner dans le couloir principal quand la femme de ménage et gouvernante de la maison apparut, l'air digne. Ses cheveux bouclés étaient ramenés en arrière avec une pince, son regard vert posé sur les deux présences féminines de la pièce. « Madame ? » La maîtresse de maison toisa hargneusement son employée avant de tourner la tête, délaissant l'enfant sale. « Emmène-la se laver et vérifie qu'elle n'est pas blessée. Elle doit être intacte pour le shooting de mardi. » La partie était terminée. Aucun geste de tendresse, aucune marque d'affection, rien. La jeune femme hispanique s'en alla, main dans la main avec la blondinette. Dès qu'Harper fut délicatement installée dans le liquide chaud, elle leva les bras en l'air avec un air candide à croquer : « Je peux avoir le joujou dragon qui va sous l'eau ? » Comment résister au visage poupin encadré de cheveux bruns, mangé par deux grands yeux mordorés ? Eh bah on ne peut pas. Malheureusement. Et la petite Molinari envahit la grande baignoire, s'imaginant des contes de princesses, de princes et de dragons qui vont sous l'eau. Elle s'invente un monde où tout le monde s'aime, bien loin de la dure réalité de la vie.

Chapitre deux ∂ « Si je vous ai réunis aujourd'hui, c'est pour annoncer avec une grande fierté, les élèves sélectionnés pour jouer dans la pièce de cette année. » Toute la foule amassée dans la salle retient son souffle, moi y compris. C'est comme un rêve d'enfant qui peut se réaliser dans les minutes qui suivent. J'ai répété des dizaines et des dizaines de fois pour ce rôle, celui de Juliette. Parce que la pièce de cette année au lycée est celle de son amour passionnel pour Roméo. Les Capulet et les Montaigu qui se battent alors que leurs héritiers s'aiment à la folie. Je trouve ça magnifique que l'amour puisse passer au dessus de tout. Le théâtre est ma plus grande passion, avec la cuisine. C'est tellement intéréssant que le mannequinat dans lequel je suis plongée depuis mon enfance. Je n'ai jamais vraiment voulu aller dans cette voix mais ma mère m'y obligeait. L'art de la scène me permet d'extérioriser tout cela, de jouer un personnage qui me plaît, dans lequel je me reconnais. Je serre mes mains l'une contre l'autre, angoissée comme jamais. Mon rêve, la raison qui fait que je me sens bien et ce rôle me permet de m'éloigner de l'image que l'on me donne depuis longtemps. Je ne suis pas cette petite fille gâtée par la vie, parce que ma mère ne m'aime pas. la première figure maternelle de ma vie n'a jamais eu une once d'affection pour ma personne. J'ai du me battre pour affirmer mes opinions, pour faire valoir ce que je suis. « ...Judikaël pour le rôle de Roméo et Adelín dans celui de Juliette. Félicitation à eux deux pour leurs superbes prestations. » Bug intersidéral. Moi, prise ? Mon coeur flancha une demi-seconde et mon estomac débuta une rumba endiablée. Je trépignais sur ma chaise, la main de ma meilleure amie sur mon épaule en signe de congratulation. Je m'arrêtai lorsque je repensai que Juliette échangeait des moments "passionnés" avec son amant. Cherchant des yeux le fameux Judikaël, je passai la salle en revue, peu certaine de le trouver. Je ne connaissais rien d'autre que son prénom. « Adelín ? » Une voix masculine me sortit de mon analyse de la pièce et lorsque je me retournai, je fis face à un regard azur, cerné de grands cils. Magnifique. Des lèvres boudeuses et roses, un grain de beauté près de celle inférieure. Des cheveux bruns et courts. J'étais sans voix, mais il fallait me reprendre. « Ah..euh..Judikaël je présume ? » Il sourit, mon coeur ratant un battement. Quel était ce sentiment étrange ? Imprévisible et affolant mon battant comme une horloge qui sonne ? Il hocha la tête en signe d'agréement, relevant son visage afce au mien. « Je suppose que nous allons nous revoir très prochainement pour répéter. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, viens me trouver. Je viendrais. » je souris en retour avant de lui faire un signe de la main et de partir, mon amie me trainant dans les couloirs pour aller fêter ce grand jour.

Chapitre trois ∂ « Puis-je savoir où tu voulais aller, Harmonia ? » Ma mère me regardait férocement, les bras croisés. Elle était d'une beauté fatale et séductrice dans son tailleur gris perle qui réhaussait sa chevelure soyeuse et ses yeux. Yeux bleus que je n'ai pas eu. J'ai hérité des prunelles mordorés de mon père, grand bien m'en fasse. Son air réprobateur me faisait pulser le sang dans les veines. « Je comptais sortir rejoindre mes amis pour fêter notre réussite sur la pièce de Shakespeare, McBeth, où vous n'avez pas été conviée. Puis-je ? » Elle semblait fermement résolue à me garder prisonnière dans notre immense maison. Et puis mon frère n'étant pas là pour prendre mon parti, j'allais devoir m'en tirer seule. « Et puis, j'ai bien le droit d'y aller, j'ai participé à cette pièce. Bonne soirée. » J'allais m'en aller quand ses talons claquèrent sur le sol de pierre. « Hors de question, dois-je te rappeller tes obligations ? Tu dois aller à un shooting demain. » Serrant les poings, je me retournai violemment. « C'est ce que vous voulez pour moi, pas ce que je veux. Je n'irai pas, point barre. Je vais faire ce que j'ai envie pour une fois, c'est clair ? Je ne serai plus votre marionnette, mère. C'est terminé. » Tournant les talons, j'entendis ses cris de rage avant de claquer la porte de notre immense habitation. Je me sentais légère, tellement légère que je fis quelques pas sans me soucier de ma destination. Les yeux fernmés, je voulais simplement profiter de ma libération du joug de ma mère. Ca faisait tellement de bien de faire ce que je voulais, quand je le voulais. Virevoletant partout et nulle part, je ne fis pas attention au fait que j'avais dépassé le trottoir. mes yeux se rouvrirent et ne purent éviter la voiture qui fonçait droit sur moi. Et là, c'est le drame. Le noir complet. Le néant.