« Sir Wallace a toujours été très attentif aux besoins de son épouse et de ses enfants, il est très attentif et impliqué dans la scolarité de Rose et de Matthew, comme le prouvent ces documents.
-J’entends bien, maître, mais faire un don à l’école privée de ses enfants-aussi généreux  soit-il- ne signifie pas être « impliqué » dans leur scolarité, de plus, ce n’est pas le sujet, nous parlons de corruption, de détournements de fonds et de blanchiment d’argent, et complice de meurtre, et je pense qu’il n’est plus d’actualité d’utiliser un titre pour cet homme, vous pouvez dorénavant nommer votre client monsieur Wallace. Nous rendrons notre verdict final à cinq heures. »

Sur le banc des accusés,  Eleanor et Robert Wallace étaient assis tête baissée, mains dans la main.

Matthew était avec les autres témoins et son visage était fermé. Bien sûr qu’il culpabilisait, c’était lui qui avait dénoncé son père, mais il ne regrettait rien. Son père est un mauvais homme, il ne mérite pas une vie paisible. Quand à lui, il récupérerait une partie des biens de la famille pour avoir collaboré avec la police. Quand à Rose, elle serait sauve, rien ne prouve qu’elle fût au courant des activités de Robert Wallace.

Rose, ne supportant plus la tension régnant dans la salle d’audience était sortie dehors et s’était assise sur les marches du tribunal. C’était le mois de novembre et la brise glacée de la fin de l’automne lui donnait la chair de poule. Quelques journalistes tentèrent de l’aborder mais elle leur fit comprendre le plus calmement possible que ce n’était pas le moment. Elle profitait du calme apparent car elle savait que le lendemain les Wallace feraient la Une des journaux : Scandale dans la noblesse londonienne : l’hypocrisie d’un couple. Elle ignorait ce qui adviendrait d’elle. Elle se sentait trahie. Par son frère, surtout, mais aussi par ses parents. Elle se doutait qu’ils faisaient des affaires plutôt obscures, mais n’a jamais fouillé. Jamais, jamais elle n’aurait pensé que ces affaires auraient été mises au grand jour. Elle se contentait de profiter des millions de livre accumulés dans la famille. Chaussures hors de pris, cours à Cambridge, sorties dans les bars les plus branchés. Bref, la parfaite vie d’une héritière. Mais elle allait sûrement tout perdre ce jour là. Sa famille et son argent. Allait-elle se retrouver dans un ignoble foyer pour jeunes filles désespérées ? Jamais. Jamais elle ne s’abaisserait à ça. Elle marcha jusqu’aux quais qui longeaient la Tamise et s’assit sur un banc, contemplant les bateaux remplis de touristes. Elle sortit un livre de son sac et à partir de là ne vit plus le temps passer, jusqu’à ce que son téléphone vibre. Le numéro était inconnu.

Chère Rose Wallace, c’est monsieur Lewis, l’avocat. Le juge a rendu son verdict, j’ai fait tout ce que j’ai pu. 30 ans de prison avec sursit pour votre père, 20 ans pour votre mère, et touts les biens de la famille seront saisis. Bonne soirée.

Le visage de Rose se décomposa, elle ne s’attendait pas à ce que le juge se montre aussi sévère envers ses parents.  Apparemment, la notoriété des Wallace n’a fait que les discréditer dans cette affaire. Alors qu’elle se levait et s’apprêtait à prendre le taxi jusqu’à chez elle pour récupérer quelques affaires de ses parents, son téléphone vibra. C’était Matthew.

Régents Park dans un quart d’heure ?
Matt

La brune confirma rapidement et aila un taxi. Un quart d’heure plus tard, elle arriva au parc bourré de touristes et s’installa sur un banc en attendant son frère, qui ne tarda pas. Il regardait autour de lui d’un air préoccupé. Il arriva, se planta devant Rose, lui tendant une enveloppe.
« C’est tout ce que j’ai pu récupérer à la banque. Vas-y prends.  Dit-il avec empressement. Muette, Rose prit l’enveloppe et la glissa dans la poche intérieure de son manteau.
-Et tu vas faire quoi maintenant ? Demanda Rose, d’un ton méfiant .
-J’avais déjà économisé. Je vais me tirer à un endroit où y’a moyen de faire du business, je te tiens au courant. »

Et Matthew prit congé de Rose d’un pas pressé.  Rose resta sur place un moment, tentant de digérer touts ces événements. Elle qui avait toujours eu la vie facile, elle se retrouvait face à l’inconnu. Tout ce qu’elle aurait avec elle pour ce grand bond, c’est le contenu de l’enveloppe et son nom tâché de sang.  « Tout ira bien » Dit-elle tout haut pour se rassurer, vainement.

Un énième repas de pâtes aux beurres.  Rose commençait à en être dégoûtée, à force. Toujours pas de job en vue. Et elle était venue presque à bout de ses économies. Mais qui voudrait d’une Wallace qui n’a même pas pu terminer ses études ? Bientôt, Rose serait obligée de prendre un poste de serveuse dans un coffee-shop, où les gens la snoberaient à longueur de journée. Elle en avait l’expérience, mais pas en tant qu’employée, elle faisait partie de ceux qui malmenaient les serveuses, et qui s’en amusaient.  Elle aurait bien aimé se trouver un job dans une maison d’édition ou dans une librairie mais son nom a rebuté les employeurs. Son appartement était tout vide : un canapé-lit, une table basse, une télé, pour les plateaux-télé solitaires du soir, un mini-frigo pour les œufs et les soda bas de gamme et une petite cuisinière pour les pattes. La seule lumière naturelle provenait d’une petite fenêtre qui grinçait sinistrement dès qu’on l’ouvrait. Et la salle de bain, n’en parlons même pas, une douche minuscule qui fuyait sans cesse, un lavabo rouillé et des toilettes très inconfortables. Mais Rose n’a pas eu le choix, elle a dût s’adapter à son nouveau milieu naturel, et à son nouveau compagnon : la solitude ; ses anciens amis l’ont lâchement abandonnée quand la réputation et l’argent des Wallace est parti en fumée. Elle s’est fait quelques connaissances dans le quartier, mais rien  de plus. Elle s'était fait une liste de choses à faire pour essayer de reprendre une vie "normale".
-Trouver un job.
-Se fondre dans le décor.
-Se socialiser.
-Trouver un sens à la vie.
-Ecrire un bouquin.
-Reprendre (peut être) les études.
-Cesser de s'inquiéter pour Matthew. Ce lâche ne le mérite pas.