Les chansons ne vont absolument pas avec les textes, ce sont juste des chansons que j'adore à vrai dire (a)



Toute petite. Toute petite, chétive, pâle. Des cheveux trop roux, des yeux trop verts, une peau trop blanche. De toutes petites mains, au bout de tout petits bras. Elle est trop blanche, trop maigre, et pourtant, avec ses yeux immenses, comme deux émeraudes, qui lui dévorent la moitié du visage, avec son sourire trop grand, elle est parfaite. Elle se retourne vers eux, avec ses grands yeux heureux, se demandant sûrement pourquoi ils la regardent comme ça. Elle ne sait pas que ce sont eux, ses parents. Elle ne sait pas quand elle voit cette femme que ce sera celle qui séchera les larmes de ses chagrins d'amour, qui lui chantera des chansons pour s'endormir, qui lui apprendra à être une femme, qui le donnera confiance dans les moments de doute. Elle ne sait pas quand elle voit cet homme qui lui tient la main que ce sera celui qui la fera rire quand elle sera triste, que ce sera celui qui chassera le monstre sous son lit, qui sera là pour lui préparer du chocolat chaud avec des tartines de confiture quand elle sera malade, qui lui fera toujours un gâteau le mercredi après-midi. Elle pense qu'ils vont repartir, comme tous les couples, sans accueillir aucun enfant chez eux, et que si jamais ils le font, ce ne sera pas elle. Pourtant, lorsqu'ils la voient, avec son air heureux, sa petite poupée de chiffon dans les mains, assise sur son petit coussin rose, avec ses deux couettes hautes, ils ne savent pas pourquoi mais ils savent que c'est elle. Elle les regarde et ils savent que c'est leur fille. Ils ne savent rien d'elle, d'où elle vient, comme elle s'appelle, quel âge elle a, mais il l'aiment.
Comme tous les autres couples, ils s'en vont. Mais comme jamais ça n'était arrivé, quelques jours plus tard, ils reviennent. La petite fille voit sa petite valise bleue prise dans les grandes mains du monsieur, la dame prend sa main à elle. La petite fille serre sa poupée contre son cœur. Elle ne sait pas trop pourquoi, ni comment, mais aujourd'hui, elle a un papa et une maman. Elle lève les yeux vers cette grande femme blonde qu'elle ne connaît pas. Elle a un air doux et elle lui sourit. A son tour, l'enfant sourit. Ils prennent une voiture, puis un avion. La petite fille n'était jamais sortie de l'orphelinat. Aujourd'hui, elle n'y retournerait plus jamais. C'est le jour de son quatrième anniversaire.



Elle n'a pas changé. Elle est toujours toute petite, toute pâle. Ses cheveux semblent toujours être une rivière de lave qui lui coule le long du dos, ses yeux sont toujours trop verts. Sa poupée de chiffon est posée sur la table à côté du gâteau que son père a préparé tout spécialement pour elle. Un tas de cadeaux immense se trouve là également : des petits, des gros, avec des emballages de toutes les couleurs. La petite fille a toujours deux couettes très hautes. Elle porte une salopette verte et un t-shirt rose, ça jure avec ses cheveux, on dirait un arc-en-ciel. Elle sourit de toutes ses dents, et il en manque une en plein milieu. Il y a des bougies sur le gros gâteau qu'elle a fait avec son père, et des petites étincelles aussi. Autour de la table il y a ses deux parents, ses quatre grands parents, son oncle et sa tante, et son cousin qui lui a déjà douze ans. Après la chanson et un décompte, elle souffle de toutes ses forces sur les bougies pendant que le flash de l'appareil photo se déclenche. Voilà : elle est grande maintenant. Elle rigole. Elle rigole tout le temps.
Avec curiosité, elle ouvre le premier paquet du tas : un petit paquet violet. Quand elle l'ouvre, elle découvre un tutu. Un vrai tutu, comme les danseuse, avec des chaussons aussi. Elle ne comprend pas bien pour quoi, mais ça lui donne envie de pleurer. Dans ses yeux, il y a des étoiles. C'est ce qu'elle veut devenir, danseuse. Elle fait de la danse depuis ses trois ans, elle est même inscrite dans un conservatoire. Elle est aussi inscrite pour le chant, mais c'est la danse qu'elle préfère. Elle saute dans les bras de sa mère qui rit avec elle. Elle est heureuse. Elles le sont toutes les deux. Aujourd'hui, elle a six ans, mais surtout, elle est une danseuse.



Elle a huit ans, des cheveux toujours plus longs, mais elle n'est toujours pas grande. Sa mère a un ventre arrondi, un sourire immense. Elle vient de lui annoncer. Dans peu de temps, seulement quelques mois, elle va avoir un petit frère. Beaucoup de gens n'abordent pas ça d'une manière aussi joyeuse. Ses amis qui ont eu des petits frères ont souvent été jaloux. Mais comment être jalouse ? Elle a toujours rêvé d'un petit frère. Elle avait toujours eu envie d'un compagnon de jeu, et de quelqu'un à qui apprendre des choses. Elle pourrait être son modèle, jouer au football avec lui, aux billes aussi. Elle lui prêtera sa poupée aussi, qu'elle a toujours avec elle. Elle est heureuse, c'est tout. Elle est toujours heureuse, de toute manière. Elle entoure sa mère de ses bras maigres. Le fait que ce ne soit pas biologiquement son frère ne lui effleure même pas l'esprit. Elle n'en a rien à faire. Elle est plus qu'impatiente. Elle voudrait que le temps passe plus vite, qu'elle soit déjà là, que ses parents aient encore plein d'autres enfants. Elle aime sa famille, plus que tout, et la voir s'agrandir la rend heureuse comme jamais. En plus de cela, c'est à elle de choisir le prénom, a dit sa mère. Ce sera Keith. Comme Keith Richards, parce qu'elle adore les Rolling Stones, et que son père aussi d'ailleurs. Elle a huit ans, et dans quelques mois, elle sera grande sœur.



Elle rit. Encore. Elle n'est toujours pas grande, mais elle a fini par se dire qu'elle ne le sera jamais. Elle est vouée à être minuscule, elle le sait, et ses amis l'appellent le lutin. Ça la fait rire. Tout la fait rire. Elle se regarde une dernière fois dans le miroir. Ses cheveux tirés en chignon semble former une pastèque orange sur le dessus de son crâne. Elle ne porte qu'un collant noir et un débardeur de la même couleur. Il y a un peu de paillettes sur ses joues et du noir autour de ses yeux. Elle danse du jazz ce soir. Elle fait du contemporain, du modern, du classique, et du jazz, mais c'est bel et bien ce dernier qu'elle préfère. C'est là qu'elle se sent le mieux. Elle prend une grande inspiration. Elle a un solo. Elle n'en a jamais eu. Tout tourne dans sa tête. Est-ce qu'elle va y arriver ? Et si elle tombait ? Son cœur bat vite. D'une seconde inspiration, elle le calme. Elle pose son regard sur sa poupée de chiffon qui dépasse de son sac. Ça lui donne du courage. Lentement, elle entre sur scène, s’assoit au milieu. Le projecteur se braque sur elle dès l'instant où les premières notes de musique retentissent et qu'elle se lève. Elle commence à danser. Un pas. Deux pas. Un saut, une retombée. La musique la porte. Ou alors c'est elle qui porte la musique. On ne sait plus. On dirait qu'elle est née pour ça. Parfois, on se demande comment elle fait. Non pas pour danser, mais plutôt pour s'arrêter de danser. Elle est heureuse. Pleinement. Elle est bien. Elle se perd.
La foule applaudit. Trop fort. Quelques personnes sifflent. Les larmes lui montent aux yeux, son cœur bat trop vite. Une personne se lève. Puis une seconde. Une troisième. Toute la salle. Les larmes dévalent ses joues. Elle aurait envie de tous les prendre dans ses bras, parce qu'ils sont parfaits, qu'elle les aime, tous, même si elle ne les connaît pas. Elle laisse échapper un sanglot, voudrait assassiner son émotivité, porte les mains autour de son nez et de sa bouche. Elle rit. Elle rit et elle finit par s'incliner, saluer silencieusement et repartir en trottinant derrière les rideaux. Elle a quinze ans, et elle aurait voulu que ce moment ne s'arrête jamais. Elle aurait voulu danser pour toujours.



La lettre est aussi trempée que si elle l'avait plongée dans l'eau. Elle pleure en riant. Comme une crise d'hystérie. Sa mère aussi rit, son père est un peu décontenancé. Keith pousse la porte du salon, son cartable toujours sur le dos. Elle ne lui laisse pas le temps de faire le moindre geste, elle se jette sur lui, le serre dans ses bras, le fait décoller du sol et tourner. Il rit avec elle, même s'il ne comprend. Il va sur ses dix ans, et il est pourtant presque aussi grand que la jeune fille qui n'a jamais dépassé le mètre cinquante-cinq. Elle le repose sur le sol et dépose un baiser sur ses deux joues. Elle brandit le papier imbibé de larmes qu'elle serre dans sa main en criant. Elle a été prise. C'est son rêve qui se réalise aujourd'hui. Dans quelques années, elle sera danseuse. Pour de vrai. Pas dans ses rêves, pas dans sa tête, mais sur un diplôme, pour de vrai. Sa poupée de chiffon est toujours là, sur la table basse du salon. Elle la prend et, comme ce jour quatorze ans auparavant, la serre contre son cœur.
Elle ne sait pas si son corps est secoué de sanglots ou d'éclats de rire, sans doute des deux, mais elle s'en fiche. Elle tourne sur elle même, esquisse quelques pas de danse. C'est sa vie qui commence aujourd'hui. Elle va danser, elle ne va plus s'arrêter. Plus jamais. Elle saute dans les bras de son père qui se met à rire aussi, sa mère vient rejoindre l'étreinte, accueille le petit garçon dans ses bras. Elle a tout ce qu'il lui faut. Son école, et sa famille contre elle. Juste ça. Elle va avoir dix-huit ans, et c'est la fille la plus heureuse du monde.


☛ Née dans une rue d'Ottawa d'une mère adolescente rejetée par sa famille et par le père
☛ Élevée dans un orphelinat d'Ottawa jusqu'à ses quatre ans
☛ Adoptée par les Knightley à quatre ans et partie vivre à Londres avec eux
☛ Entrée au conservatoire de danse à cinq ans
☛ A eu un petit frère l'année de ses huit ans
☛ Suivit des cours dans un collège et un lycée aux horaires aménagés pour lui permettre de continuer la danse en combinant les études
☛ Entrée dans une troupe à ses seize ans
☛ Acceptée dans une école de danse l'année de ses dix-huit ans