◗ DOUZE JUILLET QUATRE-VINGT TREIZE

« Blond, les yeux bleus, l’allure assez chic, bras autour des épaules de ma mère. Il est arrivé ici puis quelques semaines maintenant. Ma mère parlait toujours de lui en bien, tu parles. Un anglais, médecin, venant en aide à certaines populations thaï dont la mienne. Comme si on a besoin de lui et de sa transpiration. Pauvre petit, il ne supporte pas la chaleur, doit pas faire très chaud en Angleterre. Ce mec est un frimeur, avec son accent et ses belles paroles. Je le déteste, lui et ma mère aussi. C’est le genre de mec parfait, sans défaut, dont ma mère est tombée follement amoureuse. Elle s’est faite embobinée par cet étranger. Faudra pas qu’elle pleure quand il se sera trouvé une anglaise chic. Il finira par la larguer, comme l’a fait mon père. Je le déteste lui, et mon père aussi. Puis ma mère aussi. Elle se fait toujours avoir. Elle m’a dit qu’avec lui ça sera différent. Tu parles. Je reviendrais surement en parler dans quelques mois. »

◗ SEIZE MAI QUATRE-VINGT QUINZE

« Ma mère est enceinte. Je vais avoir un frère ou une sœur, je ne sais pas encore et puis elle ne veut pas savoir. Pauvre gosse, il ne va pas connaitre son père lui non plus. Je le sais que cet anglais va finir par se casser, je le sens. J’espère au moins que ça sera un mec. »

◗ VINGT-SEPT NOVEMBRE QUATRE-VINGT QUINZE

« Ca y est, je ne suis plus fils unique. Et c’est une fille, super ! Bien sûr c’est ironique. Elle est minuscule, et a un cri plutôt aigu. Elle n’arrête pas de chialer, ça commence déjà. Ma mère est super heureuse, mon beau-père aussi. Ouais, il est toujours là. Je me demande quand est-ce qu’il va se barrer d’ailleurs. Ils l’ont appelé Madee. Madee Rivers, l’english a insisté pour qu’elle porte son nom. Ça me donne envie de gerber. Elle est rentrée à la maison aujourd’hui, ils sont tous après elle. D’habitude c’est de moi qu’on parle. Elle m’énerve déjà cette petiote, ma sœur, demi-sœur en fait. Tout le monde est après elle, tout le monde la trouve trop jolie. Tu parles. »

◗ DIX AVRIL DEUX MILLES CINQ

« J’ai été obligé d’aller à son spectacle. Ma mère m’a forcé, soi-disant ça ferait plaisir à Madee que je vienne la voir faire ses galipettes et compagnie. Elle fait de la gym, depuis qu’elle sait marcher. Elle était ‘fantastique’ si je cite ma mère. Je crois que c’est officiel, je déteste Madee, elle a tout pour elle. Elle a toujours eu de bonnes notes, j’ai toujours eu des caisses. Elle est passionnée, je suis juste paumé. Elle connait son père, je n’ai jamais connu le mien. Elle n’a jamais connu la misère grâce à son père, contrairement à moi. C’est la petite fille parfaite, tout le portrait de son père. »

◗ TREIZE JUIN DEUX MILLES DIX

« J’entends Madee pleurer dans sa chambre. Je sais que c’est encore à cause d’un mec, elle tombe toujours sur des connards. En même temps, tous les mecs sont comme ça, pas un pour rattraper l’autre. Je ne sais pas ce que ce mec-là lui avait fait. Elle tombe toujours amoureuse des cons de service. En même temps, c’est un vrai cœur d’artichaut. Dès qu’elle voit un mec, ça y est, elle en rêve. Elle tombe souvent sur des mecs qui veulent juste la baiser. Faut dire qu’elle est tellement jolie. Et puis elle fait toute innocente, une proie facile je vous dis. Mais ce qu’elle ne sait pas c’est que je vais la venger. J’irais voir ce mec et je lui ferais sa fête. Personne n’a le droit de faire pleurer ma sœur, à part moi. »

C'est le seul truc que j'avais retrouvé de mon frère, son journal intime. Je ne savais même pas qu'il en tenait un. Ce n'était pas vraiment son truc, enfin c'est ce que je pensais. C'était le genre de mec à qui il ne fallait pas chercher d'ennuis, plutôt costaud, plutôt drogué aussi. J'avais toujours vu qu'il me détestait et je n'avais jamais su pourquoi. Dans le fond, il m'appréciait surement un peu. J'aurais préféré le savoir avant, maintenant c'était trop tard, il était plus là. Je n'avais plus personne. J'avais décidé de partir là où avait grandit mon père, voir à quoi ressemblait sa vie à Londres.