► chapter one,
Aussi loin que je m’en souvienne, je n’avais pas eu une enfance pénible. Mes parents n’étaient pas riches mais avaient toujours fait leur maximum pour subvenir à mes besoins et pour me faire plaisir de temps à autres. Ils avaient su m’inculquer des valeurs et des principes dont l’importance me paraissait évidente encore aujourd’hui. En somme, je n’avais pas eu une enfance malheureuse, cette dernière ayant probablement été similaire à n’importe quelle autre. Du moins, cette théorie tenait la route si ce que je qualifiais d’enfance n’incluait que les six premières années de ma vie : les seules que j’avais pu partager avec ma mère. Au-delà d’une éducation aussi satisfaisante qu’acceptable pour les autres comme pour moi, je n’avais aucun véritable souvenir de ma mère. Aucune image concrète de cette dernière n’était parvenue à me revenir en mémoire afin de nourrir cette certaine soif de curiosité avec laquelle j’avais toujours vécu depuis que j’étais en âge de me poser ce genre de questions.
~ octobre 2005, 12 ans, à l’heure du coucher.flashback ~ Papa ? De mes grands yeux bruns, je fixais mon père qui était assis au pied de mon lit, tentant de capter son entière attention.
Elle va revenir maman ? Il ne me répondit pas immédiatement, mais à en juger par l’expression de son visage, je devinai qu’il n’était définitivement pas à l’aise avec ce sujet à propos duquel je ne cessai de le tanner pour en savoir davantage. Et pour toute réponse, c’est un sourire presque forcé qu’il m’adressa.
Bonne nuit. Après m’avoir délicatement bordé et avoir déposé un tendre baiser sur mon front, mon père se releva seulement accompagné d’un lourd silence pour ensuite regagner la porte de ma chambre qui donnait sur le couloir.
Papa ! insistai-je en me redressant vivement sur mon lit afin de plonger mon regard suppliant dans le sien. Une fois de plus, il essayait de fuir cette discussion qui s’avérait être trop sérieuse pour lui. Ou trop douloureuse peut-être.
Kellin…, soupira-t-il comme s’il était fatigué de toutes ces questions que j’avais pris la mauvaise habitude de lui poser. Et il l’était sûrement. Je ne me démontai pas toutefois.
Elle va revenir un jour, oui ou non ? Sans même se retourner, mon père referma la porte derrière lui, et, tandis que je me recouchais à la fois agacée et peinée par ses silences, je crus entendre sa voix qui me répondit finalement du bout du couloir.
Non, maman ne reviendra jamais. ~ fin du flashback. ► chapter two,
Une fois que je fus face au miroir de la salle de bain qui se trouvait juste à côté de ma chambre, je pris quelques secondes pour observer, non sans un certain dédain, le reflet qui se dessinait. J’avais toujours eu la chance d’avoir des pommettes bien dessinées et toujours rosées. Cependant, ce que je voyais présentement n’avait rien de naturel. Ma joue gauche était anormalement gonflée et laissait apparaître un léger reflet bleu-violacé sous un voile rougeâtre. Tandis que je fixais mon reflet dans la glace de la salle de bain, je laissai glisser mes doigts le long de mon visage, remontant ensuite jusqu’à cette ecchymose qui devenait de plus en plus visible jusqu’à presque prendre possession de ma joue entière. A peine l’avais-je frôlé du bout des doigts que j’ôtai ma main de mon visage. La douleur était étrangement vive. En réalité, c’était une douleur qui m’était inconnue… jusqu’à maintenant.
~ mars 2009, 16 ans, à l’heure du dîner.flashback ~ Tu as le droit de sourire. Lentement, je levai le regard vers mon père, regard empli d’incompréhension et d’étonnement.
Et pourquoi je sourirais ? Je n’en ai aucune envie. Par l’expression de son visage, je devinai à tort qu’il avait compris les raisons de mes récentes sautes d’humeur.
Tu m’en veux encore pour hier, c’est ça ? me questionna mon père avec un petit sourire en coin, comme s’il était amusé par la situation parce qu’elle n’était finalement pas si grave. Nerveusement, je laissai échapper un léger rire.
Je m’en fiche pas mal que tu ne m’aies pas laissée aller à cette soirée. Non, il me semble que c’est plus grave que ça. Et je crois que tu sais parfaitement ce qui ne va pas, au fond. Mais à force de cacher des choses aux gens, on prend fatalement l’habitude de faire l’autruche, pas vrai ? lâchai-je telle une bombe, sans même réfléchir à ces propos que j’avais laissés couler naturellement. Trop naturellement peut-être.
J’en ai assez de tes cachotteries, papa. Quand est-ce que tu vas enfin te décider à être honnête avec moi et me dire la vérité au sujet de maman ? Hein, quand ? poursuivis-je alors que j’avais considérablement haussé le ton. Mon père, lui, malgré ses yeux pleins de rage et ses joues rouges écarlates, restait stoïque.
Et alors quoi ? Tu es devenu muet ? Tu n’as plus aucun mensonge à me servir sur un plateau d’argent cette fois-ci ? J’ai toujours été honnête avec toi en ce qui concerne ta mère, m’affirma-t-il avec un calme légendaire que je ne lui connaissais pas compte tenu de l’état dans lequel il était intérieurement.
Ah oui ? Alors comment tu expliques le fait qu’un jour tu me dises qu’elle ne reviendra jamais et que le lendemain tu affirmes que tu ne sais absolument pas ce qu’il s’est passé ? Je pouvais sentir quelques larmes se hisser jusqu’à mes yeux, tant et si bien que ma vue en était brouillée. Je m’obstinais néanmoins à observer mon père. Il avala difficilement sa salive, cherchant visiblement ses mots, mots qu’il ne trouva finalement pas.
Très bien, lâchai-je simplement en hochant la tête.
J’me casse. Sans rien ajouter de plus, je me levai de ma chaise afin de me rendre jusqu’à ma chambre, mais la main dure et ferme de mon père qui saisit mon bras m’en empêcha. Je ne l’avais pas entendu se lever et encore moins me rejoindre au bout du couloir. Peut-être s’était-il enfin décidé à me parler de manière claire et franche. Rien n’était moins sûr, et j’étais fatiguée de chercher à comprendre. Je me contentai donc de lui adresser un regard interrogateur.
Je ne sais absolument pas ce qui est arrivé à ta mère. Oh, moi je pense que tu sais exactement, mais tu n’es qu’un sale menteur. Un menteur et un lâche. Mon père avait subitement lâché mon bras tandis que le sien s’était levé vers mon visage avant même que je n’aie le temps de réagir et de comprendre ce qu’il se passait.
~ fin du flashback. Ce soir-là, j’avais cru que j’allais recevoir une claque de plus. Je n’étais probablement pas la première adolescente qui se faisait physiquement punir pour son insolence. Et de l’insolence, j’en avais à revendre. Mais lorsque sa main entra finalement en contact avec mon visage, je pus sentir très distinctement que ses doigts s’étaient refermés pour former le poing qui m’avait frappé pour la toute première fois, mais pas la dernière.
* * *
Je retenais ma respiration. Un silence de mort m’enrobait toute entière. La faible et unique lueur émise par ma lampe à l’entrée du couloir éclairait à peine la totalité de ce dernier. En revanche, ce que j’étais présentement en train de subir m’apparaissait aussi clairement qu’il était possible, et d’une réalité déconcertante. Recroquevillée au sol, aucun battement de paupière ne vint troubler l’immobilité dans laquelle je me trouvais, l’esprit totalement immergé dans cette violence dont j’étais victime et qui n’était que trop réel.
Je t’en supplie, arrêtes ! Ces mots s’étaient échappés de mes lèvres dans un cri dont les impressionnantes décibels mélangeaient volonté et incompréhension, autorité et impuissance, détermination et effroi. Des sanglots vinrent accompagner mes mots tandis que mes yeux ne se détachaient pas de la silhouette de mon père qui s’éloigna alors. Le silence se faisait plus lourd, et l’atmosphère plus oppressante encore à chacun de ses pas. D’instinct, je glissai en arrière avec difficulté, les yeux rivés au sol. Mon pouls s’était considérablement accéléré, et l’unique son étouffé de ma respiration raisonnait dans la pièce. De nouveau, je fus noyée malgré moi dans ce flot de silence. J’étais pleinement consciente de ce qui était en train de m’arriver, mais je n’y comprenais rien. Strictement rien. Ce n’était pas la première fois cette semaine que ce genre d’évènement se produisait, et chaque fois j’étais tout aussi désemparée.
Pardon papa, pardon ! lançai-je dans un cri étouffé qu’il n’avait probablement pas entendu. Entre deux sanglots, j’avalai ma salive avec difficulté. Ma main droite, tremblotante, essayait tant bien que mal de s’agripper à quelque chose, tant mon corps se faisait faible. Aucun son ne se mélangeait à mes sanglots. Tout était redevenu calme, immobile, inanimé. Sans vie. A l’aide du revers de ma manche, j’essuyai mes joues inondées de larmes avant de me relever avec détermination. A peine avais-je réussi à me redresser que je me sentis vriller à nouveau, comme incapable de tenir en équilibre. Dépourvue de mes forces, mes gémissements se faisaient à peine audibles, et je me laissai de nouveau tomber au sol. Puis très vite, le néant.
Mes paupières tremblotantes s’ouvraient avec difficulté tandis que mes yeux s’habituaient tant bien que mal à la faible lueur du jour qui s’immisçait dans la pièce. Tout autour de moi semblait muet. La fenêtre était grande ouverte, mais les feuilles qui recouvraient le sol terreux à l’extérieur ne craquaient pas, le vent ne sifflait pas entre les branches. Pourtant, je sentais contre ma peau les caresses de la douce bise qui était bel et bien présente. Je baissai alors machinalement les yeux vers mon corps que je découvris totalement nu, recouvert uniquement de ce qu’on aurait pu qualifier de blouse blanche, tandis que mon bras gauche semblait relié de toutes parts à des machines. Prise de panique, je sentis ma respiration s’accélérer, tandis que mon regard balayait les moindres recoins de cet endroit dans lequel j’étais totalement perdue. Puis, le mutisme de la pièce se brisa, laissant place au rythme cadencé de deux voix masculines qui semblaient se répondre. Brusquement, je me retournai, laissant à mes yeux le loisir d’apercevoir deux ombres à l’entrée de la porte, y compris une dont les contours m’étaient plus particulièrement familiers : mon père. Sans trop y prêter attention, j’entendis tout de même quelques bribes de conversation qui me parvinrent relativement distinctement.
Êtes-vous témoin de ce qu’il s’est passé, monsieur ? Après être resté silencieux quelques secondes le temps de réfléchir à sa réponse sans doute, mon père prit la parole le plus naturellement du monde.
Je n’ai pas assisté à cet accident à proprement dire, commença-t-il tandis que le médecin l’écoutait avec attention.
Mais… je sais qu’elle devait sortir avec des amis hier soir, et elle n’aurait pas pu le faire sans ses escarpins aux talons douze centimètres. Vous connaissez les filles, surtout à cet âge. Un sourire amusé, identique à celui que mon père arborait se dessina sur les lèvres de l’homme qui lui faisait face. Du moins, c’est ce que je crus distinguer.
Bref, elle a trébuché et a dévalé les escaliers. Le bruit m’a alerté et j’ai de suite appelé les urgences. Je vois. Dans sa chute, sa tête aurait apparemment cogné une surface dure, le carrelage probablement, et cette collision aurait pu lui être fatale. Elle a eu beaucoup de chance, et vous aussi. J’avais encore l’esprit brouillé et étais encore bouleversée par les précédents évènements, mais une chose était sûre, c’était que les mensonges, mon père en avait l’habitude. Et par chance, c’était l’arme parfaite pour se blanchir face aux personnes les plus naïves.
~ mars 2011, 18 ans.flashback ~ Je sais pas, dis-moi ! m’exclamai-je tandis que de grands gestes accompagnaient mes paroles.
Est-ce qu’elle est partie parce qu’elle ne voulait plus de moi ? Est-ce qu’elle s’est tirée ailleurs parce qu’elle voulait refaire sa vie ? Est-ce qu’elle est morte ? J’ai besoin de savoir, pourquoi est-ce que tu ne veux pas comprendre ? Vivre dans un tel brouillard, je n’en pouvais plus. La curiosité dont je faisais preuve au début avait été remplacée par un besoin légitime. Et si le fait de ne pas connaître les raisons de la disparition de ma mère était difficile et frustrant, ignorer si elle était vivante ou morte l’était plus encore.
A quoi bon t’acharner ? Cela ne la fera pas revenir, mets-toi bien ça dans le crâne, répondit enfin mon père d’un ton aussi sec que glacial.
A quoi bon ? Mais papa, est-ce que tu t’entends parler ? C’est ma mère ! En revanche, ce que je n’arrive pas à comprendre c’est pourquoi toi tu t’obstines à me cacher la vérité, lâchai-je en sanglotant presque. J’étais épuisée de tout ça, de ces discussions interminables qui ne menaient à rien, ni pour lui, ni pour moi. J’aurais souhaité que tout cela s’arrête afin que nous puissions retrouver une relation normale, comme avant.
Peut-être parce que c’est toi qui l’as tuée. Ces mots s’étaient échappés de ma bouche sans que je ne le veuille vraiment, et pourtant… Depuis que mon père avait pris l’habitude de lever la main sur moi, je me surprenais à penser que je n’étais peut-être pas la première. A ce moment précis, je me trouvais presque cruelle de penser cela de mon père qui, au fond, m’aimait de tout son cœur, j’en étais persuadée. D’un air sincèrement désolé, je plantai mes yeux dans ceux de mon père. Pour la première fois de ma vie, je fus incapable de déceler le moindre de ses sentiments. La petite lueur dans ses yeux n’était animée par aucune rage au même titre qu’elle ne révélait aucune froideur, et la colère y était tout aussi imperceptible. Les excuses que je lui présentais simplement à l’aide de mon regard n’eurent pas l’effet escompté. Sans exprimer le moindre scrupule, mon père se rapprocha de moi avant de lever le poing et de me battre sans interruption durant de longues minutes qui me parurent une éternité. Mais comment pouvais-je le blâmer pour ça ? Je l’avais mis en colère, et ça, je n’étais pas sans le savoir. Tout était de ma faute. J’étais la seule et unique responsable des actes de mon père, c’était une certitude que j’avais. Aussi, je ne fis rien pour me défendre, me contentant d’étouffer les multiples gémissements causés par la douleur qui parcourait l’entièreté de mon corps à chaque coup que m’assenait mon père, jusqu’à ce que je ne trébuche dans mes escaliers.
~ fin du flashback. ► chapter three,
Je n’étais même plus capable d’estimer depuis quand je connaissais Cheryl tant cela faisait longtemps. Cela faisait de nombreuses années maintenant, et je crois bien que nous étions encore des petites filles lorsque nous nous étions rencontrées pour la première fois. Désormais, je ne me voyais plus vivre sans elle, même si son caractère extrême et décalé ne ressemblait pas toujours au mien.
~ janvier 2013, 20 ans, dans la cour de la fac.Regarde le nouveau ! s’écria ma meilleure amie tandis qu’elle m’indiquait un jeune homme d’un signe de tête. En même temps, je n’avais qu’à suivre son regard pour voir que c’était bel et bien lui qu’elle dévorait des yeux depuis tout à l’heure. Le garçon en question était beau et grand. Il avait des cheveux châtains dont la mèche de devant était légèrement relevée en banane, et un regard sombre et mystérieux malgré ses yeux bleus perçants. Il avait tout pour plaire, c’est vrai, et peut-être que sa récente intégration à l’équipe de basket de la fac expliquait davantage l’engouement des filles à son égard. Quoi qu’il n’avait apparemment pas besoin de cela. Ce que l’on pouvait dire, c’était que le petit nouveau n’avait pas passé inaperçu.
Il s’appelle Esteban Baker, il a vingt ans, et en plus de faire partie de l’équipe de basket de la fac, je crois qu’il est également musicien ou quelque chose dans le genre, poursuivit Cheryl, me tirant alors de mes pensées par la même occasion. Son attitude d’adolescente pré pubère follement amoureuse pour la toute première fois de sa vie m’arracha un sourire amusé.
Tu es pire que le FBI, déclarai-je sans que ce sourire en coin ne se détache de mes lèvres. Mais Cheryl ne releva pas, trop occupée à se fondre intérieurement de désir pour le beau brun.
Alors ? Je portai de nouveau mon attention sur elle.
Alors quoi ? Et ben qu’est-ce que tu en penses ? me demanda-t-elle avec un pointe de curiosité non dissimulée. Je posai de nouveau mon regard sur le jeune homme afin de l’observer quelques secondes de plus.
Il est mignon, lâchai-je enfin en acquiesçant comme pour confirmer mes dires.
Il est… mignon ? me demanda rhétoriquement ma meilleure amie, visiblement étonnée par le détachement que je manifestais à l’égard de ce fameux Esteban.
Attends, il est pas mignon, il est carrément parfait ! répliqua-t-elle non sans exagérer le moins du monde, comme à son habitude. Et justement, c’était bien la première raison pour laquelle je ne m’intéressais pas plus que ça à ce jeune homme qui était visiblement chasse gardée. De ce fait, mieux valait que je garde mes distances. Alors oui, peut-être bien qu’il était parfait comme elle le prétendait, mais à vrai dire, je m’en fichais pas mal. Ma meilleure amie était et resterait la personne qui comptait le plus pour moi, et ça, cela ne changerait jamais, surtout pas à cause d’un mec. Du moins, c’était ce que je croyais.
* * *
Après avoir dit au revoir à Cheryl, je m’étais dirigée vers la voiture noire garée juste en face dans laquelle m’attendait mon père. Machinalement, je me penchai à la vitre de la portière afin de la saluer, mais il semblait trop occupé à observer les autres étudiants pour me répondre.
C’est ton petit ami ? me demanda-t-il sans que je ne m’y attende.
Euh… je… balbutiai-je en me retournant histoire de voir de qui il parlait.
Non, répondis-je simplement avant même que mon regard ne se pose sur le grand blond style surfer californien que mon père avait précédemment désigné. Le fait était que je n’avais pas de copain, mais naïvement, j’avais imaginé que mon père se radoucirait s’il apprenait que je ne lui appartenais plus à proprement parler, car je n’étais plus exclusivement sa petite fille à lui.
~ mai 2013, 20 ans, à la maison.flashback ~ Ce soir-là, mon père m’avait encore frappée. C’était devenu une habitude, tant et si bien que je me renfermais de plus en plus sur moi-même. Malgré moi, je m’éloignais même de ma meilleure amie, quoique ce soit un peu volontaire dans un sens. Mon père me frappait toujours plus, plus fort et plus longtemps, de sorte que les bleus qui recouvraient mon corps devenaient de plus en plus difficiles à camoufler. Cheryl était toujours ma meilleure amie et je souffrais autant qu’elle de me montrer si distance avec celle-ci. Mais j’avais la désagréable impression de ne plus pouvoir faire autrement. Le visage noyé de larmes, je m’étais donc réfugiée puis enfermée dans ma chambre, mais j’ignore comment, mon père était parvenu à en ouvrir la porte. A peine avait-il fait un pas à l’intérieur de la pièce que je me mis debout sur mon lit, lui adressant cette fois un regard plus triste que suppliant.
Papa, arrête, ça suffit maintenant, d’accord ? Je te demande pardon pour tout ce que j’ai pu dire ou faire qui t’aurait blessé, et je te promets de ne plus jamais parler de maman. On oublie tout et on repart de zéro ? Tu crois que c’est si facile ? commença mon père d’une voix rauque et sévère.
Tu es insolente, tu m’insultes, me manque de respect… tu me pousses à bout Kellin. Peut-être bien qu’il avait raison au fond. Je n’étais en rien la petite fille modèle et je ne lui facilitais pas la tâche, alors qu’élever seul son enfant n’était déjà pas une mince affaire. Toutefois, même si j’étais convaincue qu’il m’aimait à sa manière, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il avait tendance à aller trop loin lorsqu’il perdait totalement les pédales.
Tu ne m’aimes pas vraiment, hein ? le provoquai-je d’une voix peu assurée cependant. Une lueur de rage traversa les yeux de mon père aussi distinctement qu’il était possible. Il se rapprocha de moi et agrippa fermement mes épaules, me secouant frénétiquement comme pour me remettre les idées au clair.
Je t’interdis de dire une chose pareille, tu m’entends ? Je suis ton père, tu ne trouveras jamais personne qui t’aimeras plus que moi. Ces paroles, il les pensait sincèrement, et y croyait dur comme fer. Je crois qu’il avait bel et bien été touché par ce que je lui avais dit, mais qu’il avait été tout aussi blessé. Je le revoyais encore m’affirmer qu’aucun garçon ne voudrait de moi avec le caractère que j’avais – ou plutôt, le “sale” caractère que j’avais, comme il me l’avait si souvent répété. De ce fait, il estimait que j’étais entièrement à lui et qu’il pouvait bien faire de moi ce qu’il voulait sous prétexte qu’il m’aimait plus que quiconque. Paradoxalement, il ne pensait pas à mal. Mais moi, j’en avais assez d’être sa chose. J’étais bien décidée à lui prouver que je ne lui appartenais plus.
~ fin du flashback. Alors, quand est-ce que tu me le présentes ? Prise de cours, je cherchai mes mots jusqu’à ce que je ne me fasse percuter par quelqu’un. Peut-être était-ce un chanceux hasard. Sans même réfléchir, j’attrapai le jeune homme par le bras avant de déposer spontanément mes lèvres sur les siennes.
Et bien voilà… papa, je te présente mon petit ami, lâchai-je comme si de rien n’était. A cet instant précis, je préférais détourner le regard, me demandant ce que pouvait bien penser le jeune homme que je venais tout juste d’embarquer là-dedans.
Enchanté, monsieur… ? Baker, répondit naturellement le jeune homme avant de serrer la main que lui avait tendue mon père. Baker… ce nom résonna étrangement dans ma tête, comme si je l’avais déjà entendu quelque part. Par curiosité, je posai donc finalement mes yeux sur ce garçon qui s’avérait n’être personne d’autre que le fameux Esteban Baker, celui sur lequel Cheryl avait littéralement craqué un mois plus tôt. Légèrement perdue et déboussolée par mes propres mensonges, je préférai couper cours à cette scène grotesque.
Bon, on y va ? Tandis que je m’apprêtais à ouvrir la portière, Esteban me tira doucement par le bras.
Je vous l’emprunte une minute, déclara-t-il poliment à l’intention de mon père avant de m’emmener à l’écart.
Je suis désolée, lâchai-je avant même qu’il n’ait le temps de prendre la parole. Mais le jeune homme ne sembla pas prendre mes excuses en compte.
C’est quoi ton prénom ? me questionna-t-il sans trop d’intérêt je crois.
Tu n’as pas besoin de le savoir. Détrompes-toi. Si je dois vraiment faire semblant de sortir avec toi, il me semble nécessaire de savoir comment tu t’appelles, non ? rétorqua Esteban, visiblement amusé par la situation. Lâchant un soupir, je secouai négativement la tête et me contentai de lui tendre aussi discrètement que possible un petit bout de papier sur lequel j’avais inscris mon numéro de téléphone portable. Il était évident que désormais, nous aurions définitivement besoin de garder contact. Après quoi, je lui adressai un merci à peine audible, reconnaissante qu’il est joué le jeu pour une parfaite inconnue, lui qui n’avait rien demandé. Je tournai ensuite les talons, mais une nouvelle fois, le jeune homme me retint, attrapant ma main d’un geste à la fois ferme et doux. Timidement, je fis pivoter mon visage jusqu’à ce que mon regard rencontre le sien. Ce dernier, confiant, franc et plein d’assurance contrastait étrangement avec son sourire rieur, tendre et innocent.
Je m’appelle Esteban. Un fin sourire se dessina sur mes lèvres.
Je sais. Et sans rien ajouter de plus, je me détachai de son emprise pour aller rejoindre mon père. La voiture s’éloigna alors, sous le regard insistant d’Esteban, mais également sous celui plein d’incompréhension et de colère de Cheryl qui avait observé la scène depuis le parking. Sur le trajet qui menait jusqu’à chez moi, je sentis mon portable vibrer deux fois.
NUMÉRO INCONNU, 17h39.
« Ravi de t'avoir rencontré. »
CHERYL, 17h41.
« Ne m'adresse plus jamais la parole. »